fievre_ebola_4L’hôpital Donka, à Conakry, accueille les malades à l’épicentre de l’épidémie. Samedi soir, à 18 heures, la secrétaire d’État Annick Girardin a rendu visite à l’équipe de MSF.

Sur les bords de la route, la vie grouille. À gauche, une mer de parasols multicolores, d'étals et de baraques en tôle épouse les reliefs accidentés d'un terrain gorgé d'eau. Madina, le plus grand marché de Conakry. Rien n'a vraiment changé. Le virus prospère dans cette fourmilière. Un vendeur se faufile entre les voitures. Il brandit une grappe de flacons de liquide antiseptique rose. "Ebola? Ebola?" Sans doute vendait-il des ceintures il y a quelques mois…

 

Arrivée à l'hôpital Donka : c'est là, dans ce qui ressemble plus à un quartier de barres HLM décrépites qu'à un édifice de santé, que MSF a installé son centre de référence Ebola. Sur les façades des bâtiments, la peinture a dû être jaune. Ou bleue, ou grise. Sur des panneaux, on lit pourtant : "Faculté de médecine", "Planning familial", "Maternité", "Ophtalmologie". Une ville dans la ville, avec, au centre de cet ensemble, une vaste place dominée par un arbre majestueux. Autour de ce géant, MSF a planté ses tentes et délimité son territoire par des grillages en plastique orange. Une frontière symbolique, qui protège l'accès sans rien cacher de ce qui se passe à l'intérieur. Déjouer les fantasmes peut sauver des vies : nombre d'habitants pensent encore que si l'on va à Donka, on vous injecte Ebola. Dans le centre, il n'y a qu'une ­entrée, qu'une sortie. Il faut se passer les mains dans de l'eau chlorée à 0,05%, se faire pulvériser les semelles de chaussures. L'odeur de la javel ne vous lâche plus.

Elle a ramassé des corps tous les jours

 

Devant un portail métallique, un pick-up blanc est garé. Un groupe d'hommes et une femme commencent à revêtir la tenue de "cosmonaute" devenue l'image de l'épidémie. Sous la chaleur moite, ils enfilent un à un les éléments de la tenue. Des bottes, un pyjama de médecin, une combinaison étanche blanche, un tablier en plastique, une première paire de gants en latex : sitôt enfilée, sitôt transparente de sueur, scotchée à la combinaison. Puis une seconde paire de gants, plus épais et jaunes, un protège-col, une cagoule, un masque sur les voies respiratoires, des lunettes hermétiques pour les yeux. L'opération est lente, minutieuse.

 

Ces membres de la Croix-Rouge font partie de l'équipe "gestion des corps". Ils viennent récupérer les dépouilles des malades décédés à l'isolement. Aujourd'hui, il y en a deux. "C'est difficile, raconte ­Fatoumata en ajustant ses lunettes dans le rétroviseur du pick-up, j'ai pitié, mais on ne peut rien faire." Elle vit à Conakry. Elle a 25 ans. Depuis le début de l'épidémie, elle a ramassé des corps tous les jours. "Sauf cette semaine, c'est seulement la troisième fois." Ils pénètrent toujours à quatre ou cinq par la porte grise, qui crisse sous les graviers. L'un d'eux porte dans son dos un pulvérisateur, pour tout asperger d'eau javellisée à l'entrée et à la sortie. Quelques minutes après, ils réapparaissent, portant un brancard, puis un autre. Deux silhouettes dans des sacs mortuaires blancs, aspergés, eux aussi, sont hissées à l'arrière du pick-up. Le chauffeur, protégé par une cloison, ne porte aucune protection. Pourquoi? "Ce n'est pas la peine", glisse-t-il, l'air absent, les yeux rouges, avant de remonter la vitre. Le déshabillage des intervenants prend autant de temps que l'habillage. Ils dégoulinent en attendant leur tour de désinfection, jambes écartées, bras ballants le long du corps. On dirait des marionnettes.

 

Le trajet jusqu'au grand ­cimetière de Conakry ne prend que quelques minutes. Les cosmonautes de tout à l'heure sont devenus des hommes verts : ils n'ont plus qu'une tenue de médecin classique, à manches courtes, des bottes et une seule paire de gants de latex. Après une rapide prière de membres de la famille du défunt, c'est encore l'équipe de la Croix-Rouge qui porte les brancards jusqu'aux tombes creusées dans la terre rouge. L'odeur de la mort soulève le cœur. Sur la tombe du patient Ebola, un fossoyeur achève le rituel. Pieds nus, en short jaune, il n'a qu'un masque sur la bouche et le nez. Il manie la pelle à toute vitesse et rebouche le trou en dégoulinant. Le pick-up blanc, les brancards, les bottes, les mains sont désinfectés de nouveau.

 

Retour dans l'enceinte du centre de traitement. Les tentes suivent un circuit balisé : l'accueil des ­familles et des proches, deux tentes de dépannage pour accueillir pour la nuit ceux qui viennent de loin. Une tente de triage, qui permet aux cas possibles de s'entretenir avec l'équipe médicale à distance de sécurité pour les orienter. Soit suspects, soit probables, ils iront dans une zone spécifique jusqu'aux résultats de leurs analyses. Cela peut prendre une journée, parfois plus. Soit ils sont écartés. "En ce moment, une vingtaine de personnes sont à l'isolement. Il y a 13 cas confirmés et 6 suspects", détaille Louise Annaud, de MSF. Sous un auvent, des dizaines de paires de bottes blanches, noires. Au fil à linge, les "pyjamas" des cosmonautes sèchent après avoir passé trente minutes dans un bain de javel. Des machines tournent. C'est le travail des lavandières et des hygiénistes. En permanence, il faut laver tout ce qui est lavable. Jeter tout ce qui doit l'être, avant de l'incinérer dans un petit enclos délimité par des sacs de sable.

Des patients guéris soignent les malades

 

La zone des cas confirmés, inaccessible sans la tenue de cosmonaute, s'étend sur deux espaces. L'une dans un bâtiment en dur, l'autre a été ajoutée pour augmenter les capacités d'accueil. C'est une série de box pouvant accueillir plusieurs patients chacun. Une zone est aménagée pour permettre aux proches de venir voir les malades qui sont en état de se lever. Trois cosmonautes s'activent : ils sortent un matelas en plastique, l'aspergent d'eau ­javellisée, ­attrapent les couvertures et les draps à l'aide d'une pince, les glissent dans un sac-poubelle, fermé avant d'être incinéré dans un autre espace. Tout au bout, un homme aux cheveux blancs, assis sur une chaise, boit une canette avec une infinie lenteur, hébété. Enfin, un moustachu, la quarantaine, les yeux fiévreux et l'air un peu hagard, s'assied face à ses proches. Un cosmonaute qui vient de passer dix minutes à se déshabiller et à se faire décontaminer sort par une autre tente-sas. Il dégouline, épuisé. "Je ne peux pas rester plus de 45 minutes, c'est mon maximum", glisse-t-il.

 

Sous une autre tente, des psys et des patients guéris. Ceux qui ont survécu vont à la rencontre des patients en zone d'isolement pour les réconforter, les nourrir, les hydrater, les écouter. "C'est très efficace, poursuit Louise de MSF. Rien que le fait qu'ils soient là montre qu'ici on ne coupe pas des membres, qu'on n'empoisonne pas, qu'on n'est pas condamné à mourir d'Ebola." MSF a recruté 15 anciens patients. Safi, une pétillante liane de 24 ans, a été une pionnière de l'épidémie, parmi les trois premiers patients accueillis ici. Elle enseignait la philo au lycée. Quand le directeur de l'école a su qu'elle sortait guérie du centre de MSF, il lui a dit : "Pas question que tu refoutes les pieds ici." Le coordinateur de l'ONU pour Ebola, l'épidémiologiste britannique David Nabarro, en visite dans le centre, vient écouter l'avis de Safi. "À mon avis, les gens qui ont reçu la maladie sont les héros de cette épidémie, je suis très content de vous rencontrer. Je veux entendre votre parole directe, moi qui suis souvent en contact avec des gens là-haut, à l'OMS, à l'ONU", lui dit-il. Safi, du tac au tac : "Que tu sois suspect, confirmé ou guéri, Ebola, c'est tout un changement radical dans ta vie. Mais quand c'est fini, tout va bien! Quand Ebola est apparu, on disait qu'il n'y avait pas de vaccin, une chance de survie de 0%. C'est ce qui fait qu'on a été stigmatisés. Même mes parents, qui n'ont pas mis le pied à l'hôpital, ont été stigmatisés." Encore maintenant? "Au départ, les gens disaient que respirer le même vent que la personne malade pouvait te contaminer. Aujourd'hui, le grand problème reste encore la communication." Sur six membres de la famille de Safi qui ont été contaminés, trois ont survécu ici.

 

Sous un auvent, la secrétaire d'État chargée du Développement et de la Francophonie, Annick ­Girardin, n'a pas soufflé depuis son arrivée à Conakry samedi matin. Elle annonce de bonnes nouvelles. "Je suis venue dire à la Guinée que la France est à ses côtés. À travers un soutien de 10 millions d'euros au total, avec la mise en place d'un centre d'expertise Pasteur, l'aide à un nouveau centre de traitement financé par l'Agence française de développement, l'envoi de 25 experts, et 2 tonnes de matériel. Je veux montrer aussi qu'on peut venir en Guinée", conclut-elle. Avec quelques précautions…

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