alpha_conde_6Le 4 octobre courant, au cours d’une rare parution devant la presse de son pays, la prestation du Président Alpha Condé a été indigne de sa charge de premier magistrat de la république. Comme d’habitude, la courtoisie, la substance et la logique manquaient. Par contre, la rudesse, la légereté et la confusion étaient présentes. Pour preuve, sous le titre “Confidences d’Alpha Condé : ‘Je me suis marié avec une femme Peuhle de Kankalabé’” le site Africaguinée n’a retenu que l’évocation d’un pan de la vie privée du chef de l’Etat. En réalité, la sous-performance de M. Condé évoque ou expose ses mésalliances, la vulgarité de son langage et l’absurdité de ses vues politiques.

 

Mésalliances

 

Tel un chasseur (donsokè) présentant un trophée de battue, Alpha Condé déclare : “Je me suis marié avec une femme Peuhle de Kankalabé.”
Il ne précise pas cependant pourquoi il demanda la main de sa “compatriote”. Parmi les témoins de la cérémonie il ne signale que la présence de politiciens sénégalais. Il oublie que le mariage est avant tout une affaire privée, personnelle et familiale. De plus, il ne souffle pas un mot sur la participation de ses parents à lui, encore moins celle de sa fiancée, i.e. sa belle-famille (birankè). Comme d’habitude, s’exprimant à la première personne du singulier (je), il donne à la cérémonie une dimension entièrement politique.

 

Président Alpha Condé à Conakry, 4 octobre 2014

Aimait-il seulement sa compagne ?  Faisait-il un calcul politicien et une arithmétique  électoraliste visant à amadouer l’électorat du Fuuta-Jalon ?
Alpha Condé rappelle ce mariage. En vérité, ce fut une mésalliance qui s’acheva par le divorce, qui, en soi, est un aveu d’échec et un constat de faillite. En conséquence, président Condé aurait dû s’abstenir d’étaler ce sujet devant la presse. Au nom de la pudeur et de l’humilité,

L’erreur est humaine. Répétée, elle devient une faute. Voire un crime. Mais une chose est presque certaine :  si l’occasion devait se présenter à nouveau — ce qui est improbable et impossible —  on peut parier que Mme Mama Kanny Diallo ne consentirait pas à convoler en noces avec M. Condé une seconde fois. Un proverbe anglais ne dit-il pas : “Fool me once, shame on you; fool me twice, shame on me.”
Les équivalents français de ce dicton varient. L’un d’eux dit :
— “Dupe-moi une fois, honte à toi. Dupe-moi deux fois, honte à moi.”
L’autre, plus direct, affirme :
— “Tu m’y prends une fois, tu es une fripouille ; tu m’y prends deux fois, je suis une andouille.”

Alpha Condé peut se vanter à gogo de sa défunte union. Qu’il sache cependant que la plupart des Ful?e déplorèrent le mariage de leur fille (sœur, nièce, cousine, petite-fille) avec l’opposant Condé. Les arrière-pensées du  prétendant étaient un secret de Polichinelle. De même, le monolithisme ethnique et les visées hégémoniques de son parti politique, le RPG étaient déjà notoires. En rétrospective, ils présagaient la violence qui a caractérisé l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir. Ils se méfiaient et se défiaient de lui. A l’époque donc, les Ful?e ne  voyaient pas le bien-fondé de l’union conjugale. Que M. le Président du RPG le retienne une fois pour toutes.

Voilà pour le passé ! Venons-en à aujourd’hui. La Guinée nage en pleine crise Ebola. Pourquoi M. Condé s’égare-t-il dans le souvenir ses noces échouées ? Ne voit-il pas qu’il y a péril en la demeure, au sens figuré et littéral de l’expression ? Ne comprend-il pas compte que le Guinéens se moquent éperdument de ses conquêtes féminines ? Enfoncé dans l’égocentrisme, concentré sur lui-même, coupé de la réalité du pays, M. Condé néglige ses responsabilités publiques.

 

Femmes Fulbhe

 

A l’exception de Moussa Dadis Camara, chaque président de la Guinée a eu une femme Pullo (peule). Trois d’entre eux (Lansana Conté, Sékouba Konaté et Alpha Condé) eurent des épouses légitimes. Par contre Sékou Touré, lui, choisit une concubine, Fally Kesso Bah. L’attraction devait être forte entre le président et celle qui officiellement était Mme Sow. Belle, intelligente, diplômée de mathématiques de l’Institut Polytechnique de Conakry, ambitieuse, la Pullo devait avoir de l’ascendant sur un veillissant Sékou Touré.Africa Confidential accolait erronément Touré à son nom en 1984. La publication la plaçait au 8ième rang dans la hiérarchie de l’entourage immédiat du président. La classification est approximative voire un peu erronée. Mais il est frappant de lire le nom de Mme Kesso  immédiatement après celui de Mme. Andrée Touré. Elle y devançait Sékou Chérif, pourtant membre du Bureau politique et beau-frère du dictateur.…

 

Fally Kesso Bah

 

Vice-gouverneur de la Banque centrale, elle devint un rouage clé du régime. A la mort de son co-époux le 26 mars 1984 à Cleveland, Ohio, un témoin oculaire qui lui rendit visite, m’a affirmé qu’elle portait le voile du veuvage. En dépit du fait qu’aucune union (religieuse ou laïque) ne consacrait sa liaison avec Sékou Touré.…  André Lewin rapporte que, “par malice,” le Conseil militaire de redressement national (Cmrn), dirigé par Colonel Lansana Conté, ordonna que Mmes Andrée (épouse légitime) et Bah (l’amante) partagent la même cellule au Camp Keme Bourema de Kindia après le coup d’Etat du 3 avril 1984.

 

Sous des formes diverses, le mariage a longtemps été à l’intersection du sexe et de la politique.… En Guinée, depuis 1958, la femme Pullo n’a pas échappé à cette règle, qui a été accentuée par les bouleversements tous azimuts de la société. Sollicitée pour sa beauté,  recherchée pour sa fécondité — réputée génératrice d’une progéniture intelligente —, la femme Pullo  a meublé et rythmé la vie (officielle ou officieuse) de quatre présidents guinéens sur cinq.

Les relations entre Alpha Condé et le Fuuta-Jalon ne se  limitent évidemment pas aux femmes. Elles incluent sa collaboration avec des cadres de cette région, et non des moindres. Je mentionnerai ci deux cas importants : feus Samba Baldé et Alfâ Ibrâhîm Sow.

 

Samba Baldé

 

Le principal livre politique d’Alpha Condé s’intitule Guinée : Albanie d’Afrique ou néo-colonie américaine ? L’organisation déséquilibrée et le style pamphlétaire de l’ouvrage mettent à nu les lacunes intellectuelles de l’auteur, et qui se sont affermies avec le temps.  Par exemple, Alpha Condé appelle prolétaires  la main-d’oeuvre non qualifiée de paysans contraints de travailler sur le chantier mortel du chemin de fer Conakry-Niger en dans les années 1910-20 ! Tout Marxiste réfuterait cette confusion élémentaire et déplorable entre le prolétariat des pays industriels et les “indigènes” ruraux d’une colonie française d’Afrique ; astreints à l’économie de subsistence et taillables et corvéables à merci !

 

Samba Baldé, leader de l’Association générale des Elèves et Etudiants guinéens (AGEEGS)

Quoiqu’il soit M. Condé dédie son livre ainsi qu’il suit :

«  A la mémoire de Baldé Samba, mon Ami, mon Camarade, président de l’Union des Etudiants de Dakar décédé le 28 février 1969
Martyr et héros de la jeunesse politique guinéenne. Par sa lucidité, son courage, son humilité, sa ferme détermination, sa fermeté dans les principes, et sa souplesse tactique, il a marqué l’Union des Etudiants de Dakar (U.E.D.). Il rest un exemple et un modèle pour les jeunes patriotes guinéens. Au Sénégal, l’Association générale des Elèves et Etudiants guinéens (AGEEGS) , animée longtemps par Baldé Samba, regroupe la grande majorité des scolaires guinéens sur des positions patriotiques. En dépit des multiples difficultés et des différentes tentatives des réactionnaires du FLNG, les militants de l’Association maintiennent fermement leur ligne anti-impérialiste conséquente. Fidèle à la mémoire du héroïque Baldé Samba, l’AGEEGS sera sûrement une des composantes les plus dynamiques de la future UGEEG. »

Alfâ Ibrâhîm Sow

Alfâ Ibrâhîm Sow, 1938-2005

Dans mon oraison funèbre intitulée “ Morts et Rédemption d’Alfa Ibrahim SOW”, j’écris :

L’exhumation des trésors culturels du Fuuta-Jaloo ne l’intéresse plus. Il se détourne de la recherche pour les mirages de la politique. Il rejoint ainsi les légions de Fuutanke auto-exilés à Conakry. Et qui, par leur exode massif, accentuent la crise de leur région. C’était une forme de suicide. Et pourtant, la politique lui avait déjà valu sa première mort (voir plus haut). Alfâ savait donc que si la Guinée broie ses éducateurs, scientifiques, intellectuels, artistes, et sportifs, elle dévore ses politiciens. Son parti n’ajouta rien à son prestige de chercheur. Au contraire. En 1998, il devint le directeur de campagne d’Alpha Condé. Ce rôle secondaire ne fit guère l’unanimité. De fait, il lui valut l’incompréhension et le rejet. Son parti, l’UFD, éclata peu après, après la défection de l’un des ses collaborateurs, Bah Oury, qui alla fonder l’UFDG.
En 2001 et en 2004 les ONG Tabital Pulaaku International et Tabital Pulaaku Guinée (TPG) sont créées à Bamako et à Conakry respectivement. Toujours victime de l’aveuglement partisan, de l’ostracisme politique des siens et de son auto-isolement culturel, et comble d’ironie, Alfâ Sow est écarté du processus. De toute évidence, l’environnement politicisé et intellectuellement stérile de TPG n’aurait pas favorisé une participation effective de l’expert. La collaboration eût été donc impossible.

En définitive, ce n’est pas seulement son mariage avec Mama Kanny qui aurait dû conduire Alpha Condé à respecter les Ful?e du Fuuta-Jalon.  C’est aussi sa dette et sa reconnaissance aux deux individualités sus-nommées. Sans savoir qu’ils avaient contracté une mauvaise alliance, ils coopérèrent avec lui de bonne foi, et contribuèrent à l’avancement de sa carrière. Parvenu au pouvoir par les moyens dévoyés et les méthodes brutales que tout le monde  connait, M. Condé devait, tout de même, leur exprimer sa gratitude et honorer leur souvenir. Mais non, il choisit l’opposé de cette voie noble.  Et, comme on le verra ci-dessous, depuis 2010, il s’en prend directement à leur communauté. Samba Baldé et Alfâ Ibrâhîm Sow doivent se retourner dans leur tombe.…
Venant 38 ans après le Complot Peul de Sékou Touré, la récidive est criminelle, condamnable et impardonnable !

 

Vulgarité

 

Président Condé lance le mot conneries à ses interlocuteurs journalistes. Le terme est indécent et inapproprié dans le discours public du chef de l’Etat. Il écorche l’oreille comme grossier et vulgaire.
Le mot souligne l’arrogance et la maladresse d’Alpha Condé. Par-dessus tout,, il révèle le mépris de M. Condé pour la presse guinéenne, qu’il maintient hautainement à distance. Aurait-il parlé de la même manière à Jeune Afrique ou à un autre organe de presse étranger ? J’en doute.

La vie privée du président ne figurait pas à l’ordre du jour du point de presse. Elle n’y a pas sa place. Son passé matrimonial étant nullement important, Alpha Condé devrait désormais se concentrer sur les affaires pressantes du pays. Sans  amuser — ou ennuyer — la galerie avec ses histoires personnelles.

 

Absurdité ethnique

 

Alpha Condé prétend n’accorder aucune importance à la question de savoir “qui est Malinké,  qui est  Peul ou qui est Soussou.” Sa mémoire est sélective. A moins qu’elle ne se rouille avec l’âge. Mais les Guinéens se souviennent de ses propos outranciers.
Par exemple, en 1991, il décernait le titre peu honorable de bâtard à tout Malinké qui ne voterait pas pour son parti, le RPG.
Durant la campagne présidentielle de 2010, Alpha Condé  ses partisans accusèrent les Ful?e d’avoir empoisonné des boissons en distribution. Puis, il regroupa ses troupes  autour du slogan “Tout sauf un Peul…”

Aujourd’hui, il prétend être indifférent à l’appartenance ethnique des Guinéens. Etrange ! Mais la planche de bois a beau flotter, elle ne deviendra pas un caïman. Autrement dit, chasser le naturel et il revient au galop. Le “Professeur” peut crier à tue-tête sa soudaine conversion. Il trouvera peu de gens crédules et naïfs pour croire à sa confession.

 

Cela dit, l’ethnie est l’alpha et l’oméga de l’humanité. Elle constitue le pilier durable des  cultures et des civilisations. Ni les révolutions, ni  les hégémonies (religion, science, capitalisme, communisme) n’ont pas pu effacer la réalité de l’ethnie, qui se perpétue,  s’adapte, et évolue avec le “progrès”, quel que soit le sens que l’on donne à ce mot.
En France, Bretons, Corses, Alsaciens, Catalans, Occitans co-existent sans exclusion ou antagonismes. De même, en Grande-Bretagne, où Anglais, Ecossais, Irlandais forment une alliance qui  reconnaît à chaque nation constituante le droit de préserver son patrimoine et de développer sa personnalité culturelle. Aux USA, la diversité est encore plus marquée entre les communautés et ethnies : Indigènes (Amérindiens) Anglo-Saxons, Africains-Américains, Italiens,  Polonais, Arabes, Juifs,  etc.
M. Condé réduit exaggérément l’ethnie à la politique. En réalité, celle-ci est avant tout le dépôt des codes qui régularisent les étapes du cycle de la vie : naissance, enfance, initiation,  mariage, mort, En l’occurrence, c’est l’ethnie (Malinké) qui a donné au président guinéen son prénom et son nom. C’est elle qui lui apprit la langue africaine qu’il parle, et lui inspire les bagues qu’il porte aux doigts. Leur qualité esthétique et leur valeur bijoutière sont relatives. Mais fonctionnellement, ces anneaux charrient des forces occultes du terroir mandé, auxquelles M. Condé croit profondément. N’en déplaise au double socialiste —ou plutôt socialisant — de sa personnalité ! Ou bien aux autres composantes de son idéologie à géométrie variable !
Enfin, au moment ultime, l’ethnie commandera le rite  des  funérailles du “Professeur”.…
Pour toutes ces raisons, si Alpha Condé ne comprend toujours pas le rôle vital de l’ethnie en société, qu’il lui colle au moins la paix !

Drôle de panafricaniste !


Terminant sa tirade, Président Condé se déclare panafricaniste. Vraiment ?! Quel type de panafricaniste est-il ? Ses prestigieux prédécesseurs ont buté, trébuché et échoué dans le panafricanisme.  Prenons Kwame Nkrumah, par exemple. Il fut un co-fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine, à Adis-Abéba, en 1963. Trois ans plus tard, l’armée ghanéenne le renversait. Et la statue du Rédempteur (Osagyefo) tombait sous les coups de boutoir des foules d’Accra.

 

Telli Diallo, premier secrétaire général de l’OUA, fut assassiné en 1977 au Camp Boiro par Sékou Touré, un autre autre champion du panafricanisme.

Tout comme Sékou Touré, Alpha Condé utilise l’ethnie pour diviser, conquérir et régner. Imitant le “Responsable suprême de la révolution” M. Condé trône autocratiquement à la présidence de la république.

Après avoir semé la discorde, la mésentente, les tensions et les attaques entre les ethnies, il se présente aujourd’hui comme un panafricaniste !

Drôle de panafricaniste qui empoche quelque $725 millions d’argent public provenant de tractations secrètes (Rio Tinto, Palladium) autour des maudites mines guinéennes. Et qui continue à les dépenser à sa guise, sans en rendre compte à l’Assemblée nationale, pourtant co-gestionnaire des deniers publics, selon les dispositions de la Constitution.

 

Tierno S. Bah

 

PS. Dans sa sortie verbale Alpha Condé a mentionné la Chefferie de canton. Comme à l’accoutumée, il n’a pas pu ou voulu préciser sa pensée ou développer le sujet. Je compte y revenir dans un autre blog.

Source : http://afrique2050.com/asp/index.php?news=9401