ebola_2Le commissaire Mimica s’est rendu en Guinée pour annoncer une nouvelle aide européenne au pays touché par Ebola. En Guinée-Conakry, le nombre de personnes décédant de cette fièvre hémorragique continue de croître. Et dans la capitale, c’est toute la vie quotidienne des habitants qui est impactée. Reportage.

 

Fanta se souviendra sans doute toute sa vie de ce coup de fil. Le début d’un cauchemar de toute une famille, de tout un pays, et même davantage. Nous sommes début mars 2014 à Conakry, en Guinée (Afrique de l’Ouest) : le cousin de Fanta, qui vit à la campagne en Haute Guinée, lui apprend au téléphone qu’il est malade. "Mais il ne savait pas ce qu’il avait. Nous lui avons dit qu’il pouvait venir à l’hôpital et chez nous, qu’on le soignerait. C’était la solidarité africaine…" Quand elle raconte ce moment, un éclair de colère passe dans le regard de la jeune fille. Assise à l’ombre des arbres, qui offrent un espace de fraîcheur inattendue dans la touffeur guinéenne, entre deux tentes du centre MSF de Conakry, Fanta se reprend vite. "Ça ne pouvait que se passer que comme ça s’est ensuite passé. A l’époque, on ignorait tout d’Ebola…", soupire-t-elle.

 

Mauvais diagnostic à l’hôpital : 6 morts

 

Le cousin de Fanta se rend à l’hôpital, mais on lui diagnostique une fièvre typhoïde : il revient donc dans sa famille, où Fanta et ses proches le chouchoutent : massage, soins… Il décèdera le 18 mars. "Nous sommes tous rentrés au village, pour l’enterrement en Haute Guinée, le 21 mars. On a tout fait comme d’habitude pour l’enterrer. Mon grand-papa lui a lavé le corps. Moi dès le 22, je me suis senti mal : des céphalées, une grande fatigue…" Avant les vomissements, l’hémorragie, la diarrhée, ce sont les premiers symptômes d’Ebola. Mais Fanta et toute sa famille - à l’image de tout un pays - ignore jusqu’à ce mot. Le 23 mars, Fanta se rend à l’hôpital, qui juge qu’il s’agit d’une forte fièvre, et la met sous perfusion, avant de la renvoyer chez elle. "A l’hôpital, le sang (NdlR : Ebola se transmet par le contact direct avec les morts et les fluides corporels infectés) coulait de ma perfusion au bras…" Dans la famille de Fanta, 9 personnes seront au total infectées. Six personnes en mourront, dont son grand-papa et son père adoptif. A elle-même, jamais les soignants - car elle est finalement hospitalisée et voit deux autres patients décéder d’Ebola sous ses yeux - ne prononceront ce mot. Mais l’histoire de la famille, parmi les premiers cas officiels d’Ebola, fait le tour du monde. Et la survivante Fanta, revenue dans son quartier dès sa guérison le 6 avril, devient une pestiférée moderne. "Les gens n’osaient même plus me regarder dans les yeux. J’ai perdu mon travail de prof." A présent, Fanta passe son temps, ici, dans ce centre de traitement d’Ebola, pour rappeler aux patients "que oui, on peut guérir d’Ebola".

 

Le centre géré par Médecins sans Frontières est dressé en plein dans la ville. Il se trouve devant l’hôpital universitaire de Donka, là même où Fanta fut accueillie. Le bâtiment de l’hôpital universitaire, gros carré de béton jaunâtre, contraste avec le "campement" de MSF, essentiellement fait de tentes de toile blanche. De la rue, les plus curieux peuvent jeter un œil sur ce qui s’y passe. Une volonté de MSF.

 

Mais pour rentrer dans ce centre, il faut suivre une procédure stricte. Avant de pénétrer dans le périmètre, il faut se rincer les mains au robinet d’un bidon d’eau chlorée. Même chose pour les semelles des chaussures, qu’un préposé est chargé d’asperger, armé d’un pulvérisateur. Sans oublier la prise de température, à l’aide d’un thermoscan à distance, et le changement d’habit. Le patient suspect, lui, sera accueilli à une autre entrée par cette doctoresse entièrement recouverte d’une combinaison bleue, masquée et gantée de plastique. Mais à l’intérieur, pas question de zone carrelée ni de sas de film hollywoodien, juste du bois, du plastique, un sol de béton ou de terre battue. Mais tout est chloré, désinfecté régulièrement - depuis la mise sur pied du centre fin mars il n’y a eu aucune contamination de soignant, insiste le responsable de MSF - et le camp est divisé en zone à bas et haut risque. Cette dernière, la zone d’isolation des malades, fait l’objet de procédures bien précises : obligation de noter chaque détail, "jusqu’à des lunettes qui tombent" - interdiction de rentrer seul, sans être formé, et sans équipements adéquats. La preuve dans la tente d’habillement spéciale, où Ismaël, 31 ans, se prépare. Avant de s’harnacher lui-même, il contrôle d’abord sa partenaire, qui au-dessus d’une combinaison blanche est en train d’en repasser une seconde, orange, celle-ci. Puis il y aura les gants, le masque, le tablier de plastique…

 

Les rumeurs courent toujours

 

En tout, 15 minutes d’habillement, pour une heure à l’intérieur. Pas plus. Après cette période, dans ce sauna à 45 degrés, l’attention ne peut que s’émousser. Amadou lui vient d’en sortir, et a quitté sa protection. Sa tunique lui colle au corps, son visage et son crâne sont couverts de rigoles de transpiration. "Oui, il fait chaud là-dedans mais je sais pourquoi je le fais…", souffle-t-il, devant l’impressionnante collection de bottes blanches du personnes médical, en train de sécher après désinfection. Comme lui, la grande partie des 140 personnes du staff est guinéenne. "Patients et soignants, on est tous des enfants du même quartier, si nous-mêmes, on crée une distance avec ces malades, qui leur viendra en aide ?", insiste Ismaël. Une implication mal comprise des familles locales. "Ici, y a des gens qui cachent à leur famille qu’ils travaillent au centre Ebola, avoue René, 26 ans, dans une tente où les dessins au mur détaillent les symptômes d’Ebola. Les familles craignent qu’on contracte Ebola et qu’on leur transmette…" René est chargé d’accueillir les proches des patients au centre. En effet, ici, même les cas confirmés d’Ebola peuvent recevoir des visites. A une vingtaine de mètres, une famille est d’ailleurs en train de discuter avec un malade debout, habillé d’une chemise à carreaux. La séparation ? Une simple barrière de plastique orange, obligeant à deux mètres de distance, afin d’éviter les contacts et les projections de liquides. "C’est très important que les gens viennent, voient ce qui se passe, cela enlève le stress de ce qui se passe à l’intérieur." Car les rumeurs sont tenaces. Certains disent que les patients sont tués dans les centres, ou qu’on leur injecte le virus. Et il y a encore des réticences, lorsque les malades sont extraits de leur famille pour être emmenés à l’hôpital, témoigne Bangaly Camara, qui exerce cette mission pour le centre.

 

Toutes les écoles fermées "jusqu’à nouvel ordre"

 

Dans ce Centre de traitement d’Ebola de Donka, quarante lits sont actuellement occupés. Il y a quelques semaines, c’était plutôt 60. Une décroissance, donc, même si tout le monde ignore quand finira l’épidémie. Le directeur du centre évoque même un ou deux ans… Pour éviter une nouvelle flambée, il faudrait notamment (re) bâtir un véritable système de santé. Actuellement, le gouvernement guinéen consacre 2 % au budget de la santé, la recommandation de l’OMS étant de 15 %. Les manques sont visibles. Ainsi, au centre médical communal de Ratoma, bâtiment de plain-pied, où les Guinéens viennent pour une appendicite ou une césarienne, les petites salles de l’hôpital ressemblent assez à l’idée qu’on se fait de classes dans une vieille école primaire, avec leur lit d’examen sommaire et leurs chaises en plastique. "On manque de moyens, entre autres de personnel, confirme Claude Bangoura, infirmier de l’hôpital. Mais il y a aussi les difficultés de répondre aux normes d’hygiène, l’alimentation en énergie instable… L’infirmier est conscient que les insuffisances du système de santé local ont pesé lourd dans la propagation d’Ebola. "En plus c’était une maladie inconnue, nous n’y étions pas préparés. Et puis, il y a les conditions de pauvreté des habitants : l’hygiène dans les habitations, de simples cabanes avec des sols en terre, des toilettes publiques…" Sans oublier le problème de l’eau. "On dit aux gens de se laver les mains, mais beaucoup n’ont pas accès à l’eau. On suggère donc l’eau de Javel… On essaie de les sensibiliser..."

 

Dans les rues de Conakry, les panneaux géants "anti-Ebola" sont presque aussi fréquents que les pubs Bicigui, la version locale de BNP Paribas. Ici, c’est la Première Dame, en quadrichromie, qui appelle à se laver les mains au savon, là c’est l’Unicef qui rappelle qu’Ebola est toujours une réalité en Guinée. Les affiches surplombent les berges des rivières où sont déversés les déchets, les rues défoncées, le long desquelles se côtoient des immeubles en construction, ou de simples cahutes serrées les unes contre les autres, faites de planches de bois ou de tôle ondulée, et où l’on vend aussi bien du poulet rôti que des cartes téléphoniques. Idrissi, dit Didi, 31 ans, un de ces commerçants, dit ne pas craindre Ebola. "On ne va quand même pas se balader dans la ville habillé en cosmonaute… Mais on fait attention, on se lave les mains, regardez, dit-il en allant chercher une bouteille remplie d’eau de Javel, partagée par plusieurs boutiques. "La seule chose dont j’ai peur, c’est de me retrouver dans une pièce avec beaucoup de gens." Les Guinéens n’ont cependant pas abandonné l’usage des taxis - des Renault 19 jaunes ayant connu des jours meilleurs -, le moyen de transport principal de la ville, où les habitants s’entassent par familles entières. Sans hygiène des mains et test de température préalables, comme c’est en revanche le cas dans les lieux publics, aux quatre coins de la ville… Didi n’ a pas non plus renoncé aux rassemblements à la mosquée, "car Dieu peut vous protéger", même d’Ebola.

 

"L’économie est dans le rouge. Plus rien ne bouge"

 

L’esplanade de cette mosquée, c’est devenu le royaume des enfants, qui y jouent au foot. Il n’y a en effet plus d’école ouverte à Conakry. "Ils nous ont dit que c’était fermé jusqu’à nouvel ordre, à cause d’Ebola, explique Ba, 18 ans, qui avec ses petites lunettes, a l’air d’un premier de classe. Mais on n’a rien à faire de toute la journée… On perd notre temps !" Pour rouvrir, il faudrait installer des systèmes de contrôles sanitaires dans chaque école du pays. Coûteux… Ouma, 21 ans, se plaint d’autres conséquence. Avec sa cabane remplie de sculptures locales, installée à ce qui est sans doute le lieu le plus stratégique de la ville - pile en face de l’entrée du 5 étoiles de Conakry, placée sous bonne garde -, il a vu ses revenus chuter. "Avec Ebola dans le pays, ça ne marche plus. Les gens n’achètent rien, ils ont peur que ça soit contaminé." A un autre niveau, Abdallah Chérif ne dit pas autre chose. Si lui est en revanche un habitué du palace, cet homme d’affaires souffre aussi de l’épidémie. "A vant l’épidémie, je vendais 8 000 sacs de farine par mois, à présent 7 à 800, explique-t-il dans l’une des salles climatisées de l’hôtel. L’économie de la Guinée est dans le rouge. Il n’y a plus de mouvement. Toute l’économie est à l’arrêt. Les Guinéens n’achètent plus ma farine car ils n’ont plus d’argent… Il n’y a plus de travail. Les investisseurs ne viennent plus ici, et les autres pays sont réticents à commercer avec nous. Dans cette situation, je pourrais encore tenir 3 mois. Et c’est le cas pour beaucoup d’autres… Pour que la Guinée revive, il faut absolument chasser Ebola du pays."

http://www.lalibre.be/actu/sciences-sante/la-vie-a-conakry-malgre-ebola-5485ef1735707696bafae158