human_rights_watchLa violence qui a sévi en Guinée pendant les mois qui ont précédé et suivi l’élection présidentielle d’octobre a fait une dizaine de morts, aggravé les tensions ethniques et mis en évidence des inquiétudes constantes relatives aux exactions perpétrées par les forces de sécurité. Cependant, en 2015, on a constaté un certain progrès dans le domaine du renforcement du système judiciaire et de l’État de droit, d’une part, et, d’autre part, dans la lutte contre les graves atteintes aux droits humains qui ont caractérisé la Guinée pendant plus de cinq décennies.

L’élection présidentielle de 2015, remportée par le président sortant Alpha Condé, a dû faire face à de graves problèmes logistiques, mais les observateurs internationaux l’ont largement jugée libre et équitable. Des élections locales n’ont toujours pas eu lieu, les dernières remontant à 2005, ce qui a alimenté encore davantage les tensions politiques.

Les signalements d’atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité ont diminué. Cependant, les forces de sécurité ont été impliquées dans de nombreux incidents impliquant un recours excessif à la force et un comportement non professionnel, y compris des vols et des actes d’extorsion, lorsqu’elles réagissaient aux manifestations qui avaient éclaté dans le contexte électoral.

Le gouvernement a quelque peu progressé dans l’exercice de la justice et dans les démarches visant à s’assurer que l’on rende compte des atrocités commises par le passé, notamment le massacre de manifestants non armés par les forces de sécurité dans un stade en 2009. Cependant, la surpopulation carcérale, le comportement non professionnel du personnel de justice et le manque d’indépendance judiciaire restent préoccupants.

Des acteurs internationaux—notamment l’Union européenne, les Nations Unies, la France, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les États-Unis—ont concentré leurs efforts sur la résolution des différends électoraux entre le parti au pouvoir et l’opposition, même s’ils ne se sont pas montrés disposés à réclamer une amélioration de l’obligation de rendre compte de ses actes. Les bailleurs de fonds ont appuyé des programmes pour gérer les conséquences de la crise sanitaire liée à l’épidémie d’Ebola, renforcer l’État de droit et améliorer la discipline au sein du secteur de la sécurité.

Impunité et obligation de rendre des comptes pour les crimes commis

Depuis 2010, la justice a ouvert plusieurs enquêtes sur des atteintes graves commises par les forces de sécurité, dont le meurtre de quelque 130 manifestants non armés en 2007 ; le massacre et le viol de sympathisants de l’opposition dans un stade de Conakry en 2009 ; la torture de membres de l’opposition politique en 2010 ; le meurtre de six hommes dans le village de Zogota, dans le sud-est du pays, en 2012 ; et, en 2013, le meurtre de manifestants qui protestaient contre le retard qu’avait pris la tenue d’élections parlementaires.

En 2015, des juges d’instruction ont pris des mesures pour faire avancer la plupart de ces enquêtes, mais leurs efforts ont été entravés par le fait que certains membres de l’armée, de la gendarmerie et de la police n’ont pas répondu à leur convocation devant les tribunaux. À la fin de l’année, aucun procès n’avait eu lieu.

Quête de justice pour le massacre du stade de 2009

Plus de six ans plus tard, l’enquête nationale se poursuivait concernant le massacre de sympathisants de l’opposition perpétré en septembre 2009 lors d’un rassemblement à Conakry, commis en grande partie par des membres de la Garde présidentielle d’élite. Des membres des forces de sécurité sont impliqués dans le meurtre de quelque 150 personnes et le viol de plus de 100 femmes sous le régime militaire de Moussa Dadis Camara.

Depuis l’ouverture des procédures juridiques en 2010, le panel de juges chargé d’enquêter sur le massacre a bien avancé, ayant interrogé plus de 400 victimes et inculpé 14 suspects, dont plusieurs membres des forces de sécurité de haut rang. Parmi les initiatives significatives prises en 2015, citons l’inculpation de l’ancien dirigeant du coup d’État Moussa Dadis Camara et de son vice-président de l’époque, Mamadouba Toto Camara.

Appareil judiciaire et conditions de détention

Certaines mesures ont été prises pour remédier aux déficiences frappantes de l’appareil judiciaire, malgré un budget opérationnel faible, qui a continué de représenter environ 0,5 % du budget national. Une conduite non professionnelle dans ce secteur, notamment un absentéisme et des pratiques corrompues, ont contribué à la perpétuation de violations dans le domaine des détentions.

Les prisons fonctionnent selon des normes qui sont largement en-deçà des normes internationales. Les centres carcéraux et de détention en Guinée sont fortement surpeuplés en raison du recours systématique à la détention provisoire, d’une gestion des dossiers inadéquate et du fait que la Cour d’assises—chargée d’entendre les affaires impliquant les crimes les plus graves—ne se réunit pas régulièrement. Le plus grand établissement de détention, conçu pour 300 détenus, en a régulièrement abrité plus de 1200. D’après les estimations, 60 % des prisonniers à Conakry se trouvent en détention préventive prolongée.

En 2015, la situation a considérablement progressé, comme l’ont montré l’adoption en février d’un plan de réforme de la justice pour 2015-2019 ; l’amélioration des conditions de travail des juges ; l’imposition de sanctions à plusieurs juges pour corruption et comportement non professionnel par le Conseil supérieur de la magistrature récemment instauré ; des progrès au niveau de la révision de textes juridiques de premier plan—dont le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de justice militaire—afin de les rendre conformes aux normes internationales ; le recrutement d’une cinquantaine de nouveaux magistrats ; une amélioration dans la gestion des dossiers ; une amélioration dans la fourniture d’eau et de soins de santé dans la plus grande prison guinéenne ; et la construction en cours d’une nouvelle prison conçue pour résoudre le problème de surpopulation carcérale. Un tribunal militaire a également été créé, même si, au moment de la rédaction des présentes, il n’avait pas encore commencé à instruire d’affaires.

Les initiatives mises en œuvre pour s’assurer que justice soit faite dans les cas de violence collective et communale ont suscité des allégations relatives à un manque d’indépendance de la justice. En avril 2015, un tribunal a condamné 11 personnes à la prison à perpétuité pour l’exécution collective de huit professionnels de la santé, fonctionnaires locaux et journalistes dans le village de Womey, dans la région forestière située au sud de la Guinée, pendant l’épidémie d’Ebola de 2014. Cependant, des organisations de défense des droits humains ont affirmé que les autorités judiciaires n’avaient ni enquêté sur les attaques, ni traduit en justice les  membres des forces de sécurité impliqués dans des viols, des actes de pillage et d’autres exactions perpétrés au lendemain de l’incident de Womey.

De même, l’inculpation de 13 hommes impliqués dans une vague de violence communale meurtrière en 2013 dans la région de N’Zérékoré, dans le sud du pays, qui avait fait quelque 200 morts, n’a pas conduit à l’ouverture d’une enquête sur le rôle qu’ont joué dans cette violence plusieurs hommes politiques perçus comme étant proches du parti dirigeant. Des huissiers de justice responsables de l’exécution de nombreuses décisions ont dénoncé une ingérence politique fréquente dans leurs travaux.

Cadre législatif et institutionnel

Le cadre juridique a réalisé des progrès manifestes dans le domaine des droits humains. Citons notamment, fin 2014, l’adoption de la Stratégie nationale pour une réforme du secteur de la justice ; en janvier 2015, la création d’une institution indépendante de défense des droits humains telle que mandatée par la constitution guinéenne de 2010, même s’il convient de noter qu’elle n’est pas conforme aux Principes de Paris ; et, en juin 2015, l’adoption d’une loi sur le maintien de l’ordre public qui renforce le contrôle qu’exercent les civils sur les services de sécurité.

La Guinée n’a toujours pas ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ni le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En outre, la Guinée n’a pas encore codifié le crime de torture dans son code pénal. Elle n’a pas non plus ratifié le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Le ministère des Droits de l’homme et des Libertés publiques, créé en 2012, a activement encouragé le respect des droits humains, malgré des contraintes budgétaires. Le ministre Gassama Kalifa Diaby s’est rendu dans des prisons, a établi des liens avec la société civile et s’est prononcé en faveur du renforcement de la justice et du respect de la liberté de la presse.

Forces de sécurité

La discipline au sein des forces de sécurité et le contrôle civil exercé sur celles-ci semblent s’être améliorés, et les autorités paraissent légèrement plus disposées à sanctionner les membres des forces de sécurité impliqués dans des violations et à s’assurer que le personnel réponde à ses convocations en justice. La hiérarchie militaire a veillé à ce que l’armée et la garde présidentielle restent dans leurs casernes, et les forces mandatées pour répondre aux troubles civils—la police et la gendarmerie—l’ont fait de manière proportionnée et sous contrôle civil.

Cependant, en 2015, des membres des forces de sécurité ont été impliqués dans de nombreux incidents impliquant un recours excessif à une force meurtrière, qui a entraîné la mort de plusieurs manifestants, un comportement abusif et le mauvais traitement de détenus alors que des membres des forces de sécurité répondaient à des manifestations et à des actes de criminalité. Les forces de sécurité ont également été impliquées dans plusieurs actes d’extorsion, de pots-de-vin, de vol et de banditisme pur et simple et, dans une moindre mesure, de torture et de viol.

Cela fait longtemps que les forces de sécurité font preuve d’un manque de neutralité politique, qui se manifeste dans leur recours à des propos racistes et dans le fait qu’elles ne protègent pas de manière égale les citoyens de toutes les catégories ethniques et religieuses, notamment ceux qui soutiennent l’opposition politique.

Principaux acteurs internationaux

Les principaux partenaires internationaux de la Guinée, notamment l’ONU, la CEDEAO, l’UE, la France et les États-Unis, ont en grande partie cherché à ce que l’élection présidentielle soit maintenue sur la bonne voie, tandis que les bailleurs de fonds ont appuyé des programmes pour gérer les conséquences de la crise sanitaire liée à l’épidémie d’Ebola, renforcer l’État de droit et améliorer la discipline au sein du secteur de la sécurité. Ces acteurs ont rarement émis des déclarations publiques pour réclamer des programmes dans le domaine de l’obligation de rendre compte de ses actes.

L’UE, premier bailleur de fonds de la Guinée, a financé des projets dans les domaines de la justice, de la réforme du secteur de la sécurité, du transport et de l’assistance dans le contexte de l’épidémie d’Ébola. Au lendemain decette crise qui a frappé le pays en 2014, de nombreux bailleurs de fonds internationaux ont considérablement accru leur aide au développement en Guinée. Parmi les fonds supplémentaires annoncés en 2015, citons 450 millions d’euros (749 millions de dollars US) provenant de l’UE, et 37,7 millions de dollars émanant du Fonds monétaire international, ainsi que 650 millions de dollars octroyés par la Banque mondiale à la Guinée, au Liberia et à la Sierra Leone. L’UE et le Programme de développement de l’ONU ont montré l’exemple en soutenant le renforcement du système judiciaire guinéen et en appuyant la réforme du secteur de la sécurité.

Le bureau de pays du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a régulièrement rendu compte d’exactions, contrôlé les conditions de détention et soutenu la Commission des droits de la personne, mais il n’a pas dénoncé publiquement les préoccupations relatives aux droits humains. En septembre, la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence sexuelle commise en période de conflits, Zainab Bangura, dont le bureau a continué d’appuyer l’obligation de rendre compte des crimes commis pendant le massacre du stade de 2009 et de traduire en justice les auteurs de viols, s’est rendue en Guinée pour encourager l’enquête à progresser encore davantage.

La Guinée a fait l’objet d’un Examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en janvier 2015. En juin, la Guinée a accepté les recommandations de l’EPU concernant les actes de torture, les disparitions forcées, les mises en détention illégales, les conditions carcérales, la réforme de la justice et de la sécurité, l’impunité parmi les forces de sécurité et les droits des femmes et des enfants.

La Commission de consolidation de la paix de l’ONU a financé des programmes pour soutenir la réforme du secteur de la sécurité, la réconciliation et la prévention du conflit dans les régions touchées par l’épidemie Ebola. Suite à la mort du coordonnateur national pour le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix (FCP) à Conakry en février, que le gouvernement a présumée comme constituant une attaque criminelle, le FCP a déployé une mission à Conakry pour veiller à ce qu’une enquête soit ouverte sur ce meurtre.

La Cour pénale internationale (CPI), qui a confirmé en octobre 2009 que la situation en Guinée faisait l’objet d’un examen préliminaire, a continué d’insister auprès des autorités nationales sur la nécessité de faire avancer l’enquête et sur l’importance de mener des procédures dans des délais raisonnables. Fatou Bensouda, la Procureure de la CPI, s’est rendue en Guinée en juillet pour évaluer les progrès—c’était la seconde fois cette année que des représentants de son bureau se déplaçaient dans ce pays. 

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