cellou_alpha1En Guinée Conakry, vous notez un retournement décisif, plutôt heureux, de la pratique politique, au pays du professeur Alpha Condé. Alors, expliquez-nous !

 

Dans l’actualité africaine, le pire, hélas !, prend toujours le dessus sur le meilleur. C’est ainsi que l’étouffante fumée des gaz lacrymogènes sur Libreville et Port-Gentil a eu raison de ce qui apparaît pourtant comme une donne nouvelle, susceptible de changer radicalement la vie politique, en Guinée. Il y a d’abord eu, au tout début de ce mois de septembre, la rencontre, décrite comme « franche et détendue », entre Cellou Dalein Diallo, leader de l’opposition, et le président Alpha Condé. Le président et l’opposant, que l’opinion percevait non pas comme des adversaires, mais comme des ennemis. La politique ne devrait pas être cela.

 

Et c’est ce qui explique toutes ces manifestations qui se sont régulièrement soldées par des morts, notamment à Conakry ?

Exact ! Après la rencontre politique du début du mois, un deuil, cette semaine, dans la famille de l’opposant, a incité le chef de l’Etat à lui rendre visite. Et là, le ton a radicalement changé. D’aucuns diront que tout cela ne devait pas se faire devant les caméras. Mais Cellou Dalein Diallo n’a pas donné l’impression d’avoir été piégé, et c’est bien l’essentiel. L’on prend peu de risques à prédire que ces deux hommes se parleront régulièrement, désormais. Peut-être même se fréquenteront-ils, comme cela arrive de manière naturelle entre adversaires politiques, aux Etats-Unis, en France ou en terre africaine du Cap-Vert, par exemple. Presqu’au même moment, au Mali, l’opposant Soumaïla Cissé et le président Ibrahim Boubacar Keïta esquissaient d’ailleurs un nouveau pas, dans ce sens, mais il en faudra beaucoup d’autres...

En marge des condoléances, Cellou Dalein Diallo et le professeur Alpha Condé sont tombés d’accord sur ce qu’ils doivent à leur peuple, sur le caractère sacré de la patrie, qu’ils se doivent de préserver pour les générations futures. Les professions de foi spontanées des deux hommes autoriseraient même à penser qu’il ne serait plus utopique d’imaginer que l’un saura, un jour, remettre le pouvoir à l’autre, si telle est la volonté de leur peuple, sans éprouver le sentiment de faire cadeau d’un butin de guerre, ou d’un bien familial, au camp ennemi.

 

Votre lecture est bien optimiste…

Lorsque les adversaires politiques conviennent que la patrie est plus chère à chacun que les petits privilèges que peut tirer leur camp ou leur clan du pouvoir, la politique devient un exercice civilisé, et les compétitions électorales cessent d’être un danger mortel pour les peuples.

Voilà pourquoi, dans un pays comme le Ghana, Jerry Rawlings, après avoir instauré la démocratie et achevé ses deux mandats, a transmis le pouvoir à John Kufuor, son adversaire de toujours, parce celui-ci était le vainqueur, face au professeur John Atta Mills, pourtant vice-président du même Rawlings. Huit ans plus tard, le président Kufuor, à son tour, devait admettre la défaite de son poulain, Nana Akufo Addo, et remettre les rênes de l’Etat à John Atta Mills. Cela s’appelle une démocratie apaisée, et il n’est point besoin de traverser les océans pour trouver des exemples de cette forme de savoir-vivre politique. Lorsque les règles du jeu sont claires et respectées par tous, personne ne brûle l’Assemblée nationale ou le siège d’autres institutions ; les radios et télévisions privées ne sont pas mitraillées par des hommes cagoulés ; les boutiques et étals des petits commerçants ne sont pas vandalisés par des exclus qui se mêlent à la foule en colère ; et le pouvoir n’en est pas réduit à livrer la guerre à une partie de son propre peuple, tout en clamant que le pays est une démocratie. C’est aux actes posés que se juge une démocratie.

 

Au Gabon, Jean Ping a finalement déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle. A quoi faut-il s’attendre, à présent ?

Le piège, pour Jean Ping, aurait été de ne pas déposer de recours, sous prétexte que cette institution, par le passé, a fait montre d’un manque de crédibilité proverbial. Ce recours est, à présent, un défi pour les membres de cette cour, dont l’honneur est en jeu devant l’opinion gabonaise, devant l’Afrique et le monde. Quel que soit le vainqueur qu’elle proclamera, elle devra le faire par une démonstration lumineuse, jusque dans les plus petits détails, pour que chaque Gabonais ait le cœur net. Peu importe que cette cour se soit, comme le disent les opposants, totalement déshonorée par le passé. Il arrive que des personnes qui se sont discréditées toute leur vie aient, un jour, un sursaut d’orgueil qui les pousse à se rattraper d’une manière qui non seulement les absout de toutes leurs fautes passées, mais les fait entrer dans l’Histoire.

RFI