crisis_groupVincent Foucher, analyste principal pour l’International Crisis Group à Dakar décrypte les enjeux du premier tour de l’élection présidentielle qui se déroule ce dimanche, dans lequel se représente le président sortant, Alpha Condé, 77 ans, élu en 2010. Les premiers résultats sont attendus le 16 octobre.

La mise en service le mois dernier du barrage de Kaleta est-elle une «aubaine» pour le candidat sortant ?

Ce nouveau barrage a amélioré considérablement la distribution de l’électricité à Conakry. La question de l’électricité en Afrique de l’Ouest, et en Guinée en particulier, est un sujet très politique. C’est peut-être un peu triste, mais c’est le grand test de la capacité de l’Etat pour bien des citoyens. Il y a eu par le passé des émeutes de l’électricité et un Etat qui assure une meilleure distribution, à quelques jours d’une élection, marque des points dans l’opinion.

Cette mise en service, que l’on peut qualifier d’opportune, peut-elle modifier les reports de voix vers Alpha Condé ?

Une étude du centre de recherche Afrobarometer réalisée en mars donnait en gros 50% d’opinions favorables sur les actions du pouvoir et 50% d’opinions critiques. C’est un indicateur incertain car les gens ne votent pas forcément sur le bilan : l’affiliation communautaire joue un rôle. Disons du moins que c’était serré au printemps. Six mois plus tard, avec la mise en service du barrage, ces opinions ont pu rebouger. Cela dit, l’opposition a une vraie base, comme l’ont montré les grandes manifestations organisées sur Conakry en fin de campagne par l’UFR (Union des forces républicaines de Sidya Touré, ndlr) et l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée de Cellou Dalein Diallo, principal leader de l’opposition). En l’absence de données récentes sur l’opinion, il est difficile de se prononcer.

Comment s’est déroulée cette campagne ?

Si on regarde le camp présidentiel, la campagne a été très puissante et très financée. L’affichage a été intensif, il y a eu distributions massives de tee-shirts et sans doute d’argent. On a vu une vidéo, largement reprise par l’opposition, où l’on voit Alpha Condé remettant une liasse de billets lors d’une tournée électorale. Ensuite, demeure les soupçons de l’opposition concernant la fraude, ou plutôt les fraudes, car l’opposition s’inquiète d’une longue série de points : la confection du fichier, la distribution des cartes, la répartition des électeurs entre bureaux, la sécurisation et la centralisation des procès-verbaux… L’opposition a annoncé qu’elle ne reconnaîtrait pas les résultats, qu’il fallait un report pour améliorer le système. Ce report a été refusé par la commission électorale. Maintenant, l’opposition appelle les gens à voter mais elle considère d’ores et déjà que les résultats sont inacceptables. C’est un contexte électoral inquiétant. En 2010, lors de l’élection présidentielle précédente, l’opposition avait d’abord refusé d’accepter les résultats et des violences importantes avaient eu lieu.

On a assisté à des violences ces derniers jours…

Pendant cette campagne, jusqu’à avant-hier, à chaque fois, les violences ont eu lieu lors de manifestations organisées par l’un ou l’autre camp. Des militants des deux camps se trouvent face à face et les plus zélés vont «au carton». S’il n’y a pas de manifestations, les risques de «frottements » sont alors moindres. Mais depuis avant-hier, à Conakry, ça a semblé prendre une autre tournure. En effet, dans les quartiers où certaines communautés ethniques, et donc certains partis, dominent, on a vu apparaître des barrages, des piquets tenus par des jeunes qui procédaient à des contrôles dans une ambiance très tendue. C’est donc quelque chose qu’on a déjà vu à Conakry mais pas encore dans cette campagne. Il s’agit d’une violence plus diffuse qui échappe un peu aux leaders. Par ailleurs, un incident qui a n’a pas été beaucoup relayé s’est déroulé à Banankoro, à 700 km de Conakry, entre les zones de peuplements malinké et peul où il y aurait eu au moins 5 morts. Le risque, c’est qu’un embrasement local dégénère et suscite des représailles ailleurs dans le pays. On avait eu un épisode de ce genre lors de la campagne de 2010 mais il était resté sous «contrôle».

Que dit la communauté internationale ?

La France a été très discrète. L’UE et les Etats-Unis ont appelé au calme. On sent une certaine inquiétude des internationaux face à l’UFDG qui estime n’avoir plus que les manifestations comme moyen de faire entendre ses inquiétudes quant à la crédibilité du scrutin.

http://www.liberation.fr/monde/2015/10/11/en-guinee-on-ne-vote-pas-forcement-sur-le-bilan-l-affiliation-communautaire-joue-un-role_1401732