yacine_dialloLa résistance ou les premiers pas dans la politique 

Yacine Diallo ne fut pas qu’un homme de culture. C’était aussi un homme d’action. Durant la deuxième guerre mondiale, avec des Français des colonies qui étaient opposés au régime de Vichy, il prit part à la résistance. Il est dit qu’il fut coopté du fait des liens étroits qu’il avait cultivés avec les chefs des diverses communautés de la Guinée. Peu de détails sont encore disponibles sur sa participation. On espère que des historiens guinéens ou africains, surtout ceux résidents en France, entameront des recherches dans les archives de la résistance pour documenter ses actions mal connues ainsi que celles de beaucoup d’africains des colonies dans la lutte contre le nazisme.

Le député de l’émancipation

À la fin de la deuxième guerre mondiale, Yacine Diallo fut encore coopté pour se présenter à la première élection de la députation de la colonie française de Guinée.

Le système de l’indigénat avait maintenu la Guinée dans un régime arriéré et féodal. Une fois élu, Yacine Diallo saisira l’opportunité offerte par la Constitution de l’Union Française de l’après-guerre pour la suppression du régime de l’indigénat avec l’abolition des travaux forcés, des fournitures obligatoires et des traitements arbitraires des colonisés. Ceci lui valut le surnom de «ALDIANA YACINE» (littéralement : Yacine-le-paradis). Yacine Diallo et ses pairs allèrent au-delà des revendications contre l’indigénat. Ils inscrivirent leurs actions parlementaires dans une vision plus large. Soixante-deux-ans après la disparition de l’homme, leur stratégie de développement économique reste d’actualité: l’éducation, les infrastructures et des institutions politiques et administratives solides. Leur vision prend un relief tout particulier quand elle est mise en parallèle avec la débâcle continue de la nation guinéenne que la disparation subite de Yacine Diallo inaugura.

Les fondations du développement

Homme de culture, charismatique et sage, Yacine Diallo était un pôle d’attraction de l’élite intellectuelle et politique de son époque. Son appartement à Paris « était comparable à un véritable cénacle fréquenté par des hommes tels que Ampâté Bâ, Boubou Hama, Lamine Guèye, Léopold Senghor, Roger Garaudy, Gabriel d’Arboussier, Barry Ibrahima III, Telli Diallo, Pierre Mendès-France, Fily Dabo Sissoko, Guy Mollet, Aimé Césaire, Felix Houphouët-Boigny, Gaston Monnerville, Gaston Deferre». Il put ainsi faire de la Guinée le centre d’intérêt de la France et un pôle d’attraction pour les investissements. À son actif il y a le financement du barrage de Konkouré par le FIDES, élément essentiel d’une industrialisation de la Guinée. À cela, il ajouta l’institut de recherche fruitière de Foulaya, l’institut Pasteur et le centre pharmaceutique de Sérédou jetaient les bases de recherches adaptées à des besoins locaux. Fervent croyant du développement du capital humain, Yacine Diallo éleva le budget de l’enseignement et de la santé à 30% budget de la colonie guinéenne. Il obtint des financements pour l’école de formation des enseignants de Dabadou et le projet du lycée fédéral de Dalaba. Il sponsorisa des projets de lois visant à améliorer les conditions de vie des étudiants, des travailleurs, des anciens combattants et d’un système mutualiste de protection sociale. À cela il ajouta la loi de rémunération équitable des produits agricoles. Le résultat fut qu’un nombre considérable de guinéens exilés dans les colonies voisines pour échapper aux rigueurs de l’indigénat retournèrent dans leur pays.

Le respect dont bénéficia Yacine Diallo parmi ses collègues à l’assemblée nationale française était manifeste. «Il était remarqué par la sagesse de ses interventions et par la rigueur de ses propositions, dossiers qui lui valurent cette épithète ‘d’autorité tranquille’ qui lui restera jusqu’à sa mort ». En 1947 le président français, Vincent Auriol entérina la stature d’homme d’état de Yacine Diallo en visitant la Guinée pour consacrer les nouveaux rapports de la France avec ses colonies d’Afrique.

La réforme des institutions traditionnelles

La chefferie traditionnelle avait été une puissante courroie de subjugation et d’exploitation des populations. Yacine Diallo entreprit de la réformer, conscient du poids des réalités sociales et de l’interaction des coutumes avec les lois. Il défendit le maintien des chefs et combattit l’idée de leur élection que soutenaient certains adversaires «progressistes ». Sa position était fondée sur la sociologie mais aussi sur les contraintes démographiques et logistiques de l’époque. Il était impossible d’organiser des scrutins transparents sans recensement fiable et sans un fichier d’état civil.

À la place d’élections des chefs, Yacine Diallo suggéra un système de cooptation. Il proposa leur inclusion dans la hiérarchie de l’administration coloniale : les chefs de village comme cadres moyens et les chefs de canton comme cadres supérieurs et leur soumission aux contrôles des inspecteurs administratifs. En outre, il proposa leur affiliation à une caisse de retraite afin d’éliminer les tentations des abus.

Avec la semi autonomie de la loi-cadre de 1957, le PDG abandonna ces réformes et démantela rapidement la chefferie traditionnelle en Guinée. Il se dota ainsi les moyens de contrôle des populations à la base et put organiser la fraude électorale du référendum de Septembre 1958.

Le mythe et l’histoire

Les opportunités saisies ou ratées des nations fermentent leurs mythes. Le questionnement sur la faillite de la Guinée a un corollaire qu’il est impossible de réprimer : celui de savoir ce que serait devenu le pays, eût Yacine Diallo vécu plus longtemps pour conduire le territoire guinéen au vote de l’indépendance. La nostalgie et les regrets sur le gâchis se mélangent pour entretenir le mythe vivace de la promesse perdue que fut Yacine Diallo. Y contribuent aussi, les efforts déployés par les régimes guinéens - celui du PDG en particulier - pour effacer son nom de la mémoire collective. L’ampleur de la faillite ne fera que renforcer ce mythe.

Le halo de mensonges du PDG et une insidieuse conspiration du silence ont tronqué le passé de la Guinée. Ce halo a enveloppé les forces balbutiantes de progrès dans une confusion désarmante. L’impératif d’émancipation requiert la pulvérisation de ces mensonges. Le travail de Mr. Boubacar Yacine Diallo pour exhumer l’œuvre et la mémoire de Yacine Diallo va dans ce sens. Il incombe aux historiens et acteurs politiques de travailler à la résurrection du passé dans toute sa complexité. Dans ce processus, la vie et l’œuvre de Yacine Diallo ainsi que celles de beaucoup de combattants de l’émancipation africaine doivent être préservées, non pas comme des milliaires de regrets, mais comme sources d’inspiration. Pour se former, une nation n’a comme outils que les combats et les actions de l’histoire. Quand la nation est en faillite comme c’est le cas de la Guinée, ces outils sont des armes de premier recours pour endiguer le recyclage perpétuel de la médiocratie et du minimalisme qui autrement continuera à la miner et à la ruiner.

Ourouro Bah

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Sur Radio Fréquence Gandal, Pottal-Fii-Bhantal Fouta-Djallon est entrain de conduire des débats sur le processus de l’indépendance en Guinée. Ces deux articles sur Yacine Diallo sont les fruits de ces causeries.