victimes 228 Septembre 2009:devoir de mémoire et exigence de justice - Extraits du rapport de Human Right Watch d’octobre 2009

Massacre, violences sexuelles et dissimulation

Le coup d’État sans effusion de sang mené en décembre 2008 par un groupe de militaires, suite à la mort du président Lansana Conté, qui avait dirigé la Guinée d’une main de fer depuis de nombreuses années, a dans un premier temps ravivé l’espoir d’une transition vers un régime plus respectueux des droits de l’homme. Le gouvernement putschiste, auto- baptisé Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), était dirigé par le capitaine Moussa Dadis Camara, lequel s’est autoproclamé président. Ce dernier a promis d’organiser des élections en 2009 auxquelles ni lui, ni aucun membre du CNDD ne se présenterait. En 2009, lorsqu’il est revenu sur sa promesse, les partis d’opposition et des groupes de la société civile guinéenne ont organisé des manifestations à travers tout le pays. La plus importante était prévue pour le 28 septembre 2009, à Conakry, et devait avoir pour point d’orgue le rassemblement au Stade du 28 septembre.

Dès les premières heures du 28 septembre, des dizaines de milliers de partisans de l’opposition ont marché vers le stade depuis la périphérie de la capitale. Les forces de sécurité ont à plusieurs reprises essayé d’empêcher les manifestants non armés d’avancer jusqu’au stade, notamment en tirant à balles réelles dans la foule. En réponse à ces tirs, les manifestants ont mis à sac un poste de police avant de l’incendier, et ont blessé un policier. Lorsque les chefs politiques de l’opposition sont entrés dans le stade aux alentours de 11h00, ils l’ont trouvé rempli de dizaines de milliers de partisans qui entonnaient des slogans pro-démocratiques, chantaient, dansaient et marchaient sur la piste de course du stade en brandissant des affiches et le drapeau guinéen.

Un peu avant 11h30, des centaines de soldats de la Garde présidentielle, des gendarmes de l’Unité chargée de la lutte anti-drogue et du grand banditisme, des membres des forces de police anti-émeute et des dizaines de miliciens en civil sont arrivés à proximité du stade.

Une fois déployés autour de l’enceinte et placés près des issues, les policiers anti-émeutes ont tiré des grenades lacrymogènes à l’intérieur du stade, provoquant une panique généralisée. Quelques minutes plus tard, les forces de sécurité, avec à leur tête la Garde présidentielle, sont entrées dans le stade par l’entrée principale en tirant sur la foule compacte terrifiée. De nombreux témoins ont raconté que les hommes armés « tiraient en rafales sur la foule de gauche à droite » jusqu’à avoir vidé les deux chargeurs de munitions que plusieurs d’entre eux portaient.

Un groupe de soldats s’est avancé lentement sur le terrain situé au milieu du stade tout en tirant, laissant sur son passage de nombreux manifestants blessés ou morts. Un autre groupe s’est dirigé vers les tribunes et s’en est pris aux chefs des partis d’opposition et à leurs collaborateurs, en les frappant si violemment que certains d’entre eux ont perdu connaissance. De nombreux autres soldats ont bloqué les issues à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du stade.

Des témoins ont raconté que des soldats ont abattu des manifestants paniqués qui tentaient de fuir le stade en escaladant les murs d’enceinte, ont tiré à bout portant sur des manifestants qui essayaient de se cacher dans des galeries, des toilettes ou sous des sièges, et ont massacré d’autres personnes après leur avoir assuré qu’ils pourraient sortir en toute sécurité. Comme la plupart des issues du stade étaient bloquées par les attaquants, les chances de pouvoir s’échapper étaient minces pour les manifestants pris au piège et nombre d’entre eux sont morts écrasés par la foule paniquée à l’intérieur du stade. À l’extérieur du bâtiment principal, sur les terrains du complexe sportif, d’autres manifestants ont été blessés—mortellement dans de nombreux cas—à la baïonnette, par balle, ou d’un coup de couteau alors qu’ils essayaient de s’enfuir. Les dossiers médicaux des hôpitaux et les documents des organisations humanitaires confirment que plus de 1 400 personnes ont été blessées au cours de l’attaque.

Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve démontrant qu’un membre des forces de sécurité ait été blessé ou tué dans l’enceinte du stade ou du complexe sportif attenant, ce qui montre bien que les violences perpétrées par les forces de sécurité contre les manifestants de l’opposition non armés étaient à sens unique.

Les agressions sexuelles ont commencé quelques minutes après l’entrée des forces de sécurité dans le stade. Les enquêteurs de Human Rights Watch ont interrogé 28 victimes de violences sexuelles et documenté encore plus de cas grâce aux témoignages des personnes ayant assisté aux violences. Sur les 28 victimes, 18 avaient été violées par plus d’un agresseur. On ne sait pas exactement combien de femmes ont été violées. À la mi-octobre, 63 victimes de violences sexuelles avaient été identifiées par une coalition de groupes de défense de la santé et des droits humains. Cependant, étant donné la manière dont sont stigmatisées les victimes de violence sexuelle dans une société guinéenne à majorité musulmane et profondément conservatrice, on peut supposer que de nombreuses femmes ayant subi des violences sexuelles le 28 septembre ont préféré ne pas demander de soins médicaux ou une autre forme d’aide.

Les victimes et les témoins ont décrit la manière avec laquelle des groupes de soldats de la Garde présidentielle ont acculé ou poursuivi les femmes paniquées qui fuyaient les coups de feu. Des femmes qui essayaient de grimper aux murs ou d’escalader les barrières pour s’échapper ont été rattrapées et forcées à descendre sous la menace des armes. Celles qui se cachaient sous les sièges et les tables du stade ont été violemment sorties de leur cachette. Une fois leurs victimes maîtrisées, les agresseurs ont arraché leurs vêtements ou les ont déchirés à l’aide d’un couteau. Après avoir coincé ces dernières au sol ou contre les sièges du stade, les agresseurs les ont violées à tour de rôle.

Les violences sexuelles étaient la plupart du temps accompagnées d’insultes dégradantes, de menaces de mort et d’une extrême brutalité. Les victimes ont dit avoir reçu des coups de pied et avoir été roués de coups de poings, de bâtons, de matraques et de crosses de fusil avant, pendant et après l’agression sexuelle. Nombre des victimes interrogées par Human Rights Watch ont montré leurs ecchymoses, les traces de coupures sur leur dos, leurs fesses et leurs membres, et les marques d’ongles sur leurs cuisses, leurs poignets et leur ventre. Pendant qu’ils agressaient sexuellement les jeunes filles et les femmes peules, les assaillants ont à plusieurs reprises tenu des propos racistes et proféré des insultes et des menaces apparemment dirigées contre cette ethnie.

De nombreux témoins ont dit avoir vu des groupes de 10 femmes et jeunes filles être violées simultanément sur le terrain et à d’autres endroits du complexe sportif. La Garde présidentielle a également enlevé plusieurs femmes présentes dans le stade, ainsi que certaines femmes qui attendaient d’être soignées dans un centre médical, pour les emmener dans des résidences privées où elles ont subi pendant plusieurs jours des viols collectifs. La fréquence et le nombre des agressions sexuelles qui ont été perpétrées pendant et après les manifestations laissent fortement supposer que ces actes ont été organisés suivant un vaste schéma préétabli et ne résultent pas d’initiatives isolées de soldats voyous.

Human Rights Watch a rassemblé des preuves formelles, y compris des témoignages de sources confidentielles militaires et de membres d’équipes médicales, attestant que les militaires ont entrepris de cacher de manière systématique les preuves de leurs crimes et de minimiser le nombre réel de victimes ayant trouvé la mort le 28 septembre. Le gouvernement a annoncé le chiffre officiel de 57 morts. Grâce à ses enquêtes, Human Rights Watch a pu déterminer que le nombre de victimes décédées lors des violences du 28 septembre et les jours qui ont suivi se situe probablement entre 150 et 200.

Immédiatement après le massacre, les membres de la Garde présidentielle ont empêché les équipes médicales de pénétrer dans le stade et, au cours des heures qui ont suivi, ont enlevé les corps qui se trouvaient dans l’enceinte du stade et du complexe sportif à l’aide de camions militaires. Dans les 24 heures qui ont suivi les violences perpétrées au stade, la Garde présidentielle a également pris le contrôle des deux principales morgues de Conakry, situées aux hôpitaux Donka et Ignace Deen, et a enlevé les corps pour les enterrer dans des lieux connus et d’autres endroits inconnus. Human Rights Watch a interrogé les familles de plus de 50 personnes décédées au cours du massacre du 28 septembre. Dans plus de la moitié des cas, l’impossibilité de retrouver les corps des victimes a mené à la supposition que ces corps avaient été directement enlevés du stade ou de la morgue de l’hôpital, par des militaires.

Human Rights Watch a interrogé une source qui a vu 65 corps entreposés au camp militaire d’Almamy Samory Touré de Conakry être emmenés au milieu de la nuit pour être, selon toute vraisemblance, enterrés dans une fosse commune. Une autre source a dit avoir vu les troupes de la Garde présidentielle emmener des corps depuis l’hôpital Donka, tôt le matin du 29 septembre, pour aller les enterrer dans deux fosses communes à Conakry et dans les environs.

Abus commis après les violences du stade

Au cours des heures et des jours qui ont suivi les violences, des soldats lourdement armés portant une tenue de camouflage et un béret rouge et des civils armés de couteaux, de machettes et de bâtons ont commis plusieurs dizaines d’abus dans les quartiers où résidait la majorité des participants au rassemblement du 28 septembre. Dans certains cas, il semble que les soldats et les civils armés ont agi en toute complicité. Les quartiers touchés par les attaques, notamment ceux de Dar-es-Salaam, Hamdalaye, Koloma, Bomboli et Cosa, connus pour être les bastions de l’opposition, sont en majorité peuplés d’habitants peuls et malinkés. Plusieurs victimes et témoins des violences commises dans ces quartiers ont confié à Human Rights Watch qu’au cours des attaques, les soldats et les miliciens en civil ont tué, violé et volé les résidents, et vandalisé les habitations. Ils les ont également insultés à plusieurs reprises et ont menacé les Peuls tout particulièrement.

Les forces de sécurité ont arbitrairement placé en détention plusieurs dizaines d’hommes arrêtés alors qu’ils fuyaient le stade ou, dans une moindre mesure, au cours des attaques qui ont suivi dans les quartiers, avant de faire subir à ces derniers de graves maltraitances, voire des tortures. La plupart d’entre eux ont été dévalisés et battus, parfois gravement, pendant leur détention. Les pires abus commis et les plus longues périodes de détention ont eu lieu aux camps militaires de Koundara et d’Alpha Yaya Diallo. Dans ces camps, d’anciens détenus ont dit avoir été battus à plusieurs reprises avec des matraques, des armes à feu et d’autres objets. Ils racontent également qu’ils ont été fouettés et forcés à se déshabiller, qu’ils ont dû prendre des positions de stress et subir des simulacres d’exécution. Sur les 13 hommes interrogés par Human Rights Watch qui ont été détenus dans au moins un des quatre centres de détention, aucun n’avait auparavant été questionné, interrogé ou déjà arrêté auparavant, et la plupart ont dû payer les policiers, gendarmes ou soldats qui les retenaient pour être relâchés. Les détenus n’ont généralement reçu aucun soin médical et n’ont eu droit qu’à une quantité limitée de nourriture et d’eau au cours de leur détention.

Extraits du rapport de Human Right Watch d’octobre 2009.