hemicycle-de-l-assemblee-nationaleDepuis leur installations, les nouveaux députés guinéens s’agitent sur le montant de leurs indemnités parlementaires. Nombreux d’entre eux, aussi bien du pouvoir que de l’opposition, veulent fixer le montant de l’indemnité à 25 millions de francs guinéens, équivalent à près de 2700 euros ( 3500 dollars) ce qui est jugé très élevé par les Guinéens dans leur majorité, car le salaire moyens mensuel dans ce pays pauvre est à peine de 440 000 francs guinées ( moins de 50 euros).

 

Mais que dit la loi guinéenne sur l’indemnité parlementaire ?

 

L’article 64 de la Constitution indique qu’une loi organique fixe le nombre des députés et le montant de leur indemnité. Le Conseil national de Transition qui a fait office de Parlement et rédigé la nouvelle Constitution et de nombreuses lois organiques dont le nouveau code électoral, a omis ce sujet, qui avait pourtant provoqué des tensions entre l’exécutif et lui en avril-mai 2010. Il faut rappeler, que tatonnant quant à sa fonction de législateur, le CNT, au début de son fonctionnement, abdiquait son rôle pour s’en remettre à l’exécutif pour lui demander d’adopter ordonnances ou décrets sur des sujets qui relevaient de sa compétence. Malgré le souci de transparence qui a conduit à la transition en Guinée, le montant exact des indemnités touchées par les membres du CNT demeure flou. Il est difficile d’accéder aux ordonnances et décrets fixant ces indemnités.

Le texte qui reste clair et accessible et toujours en vigueur est la loi organique L/91/013/CTRN du 23 décembre 1991 sur les circonscriptions électorales, le nombre des députés et le montant de leurs indemnités. Cette loi qui fixe à 114 le nombre de députés, nombre qui a été retenu pour les législatives de fin septembre 2013(et non les 159 que comptait le CNT), dispose en son article 3 que « Les députés perçoivent une indemnité mensuelle égale au traitement afférent à l’indice maximum de la plus haute hiérarchie de la fonction publique, une indemnité de session et d’autres avantages fixés par décret, sur proposition du bureau de l’Assemblée nationale »[1][1]. L’article 6 ajoute que « Les membres du bureau de l’Assemblée nationale, les présidents des groupes parlementaires, les présidents et rapporteurs des commissions perçoivent des indemnités de fonction fixées par décret, sur proposition du bureau de l’Assemblée nationale. Les membres du bureau de l’Assemblée nationale bénéficient, en outre, d’avantage en nature déterminés dans les mêmes conditions ». Ces avantages en nature sont : un véhicule 4x4 pour chaque député et du carburant, des services de traduction etc. Chaque commission, chaque membre du bureau et les présidents des groupes parlementaires, disposent chacun d’un local. L’Assemblée nationale a, en outre, crée une caisse de retraite pour les anciens parlementaires.

 

La loi L /2001/ 028 AN portant statut général des fonctionnaires qui repartit les emplois permanents de la fonction Publique en trois catégories à savoir A, B, et C, stipule en son article 73 que « les indemnités ont pour objet de rembourser des frais excédant les conditions normales de l'emploi ou de compenser des charges inhérentes aux fonctions exercées. La nature et le montant des primes, indemnités, avantages et accessoires, ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont accordés, sont fixés par décret ».

 

Par ailleurs, l’article 72 de la Constitution insère dans le domaine de la loi les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat.

De tout ce qui précède, il apparaît que le montant des indemnités des parlementaires n’est pas fixé au hasard, mais suivant l’indice de la haute fonction publique.

 

L’article 16 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale stipule que le bureau de l’Assemblée détermine, par un règlement financier, les modalités d’exéctution du budget autonome de l’Assemblée Nationale. « Les crédits nécessaires au fonctionnement de l’Assemblée Nationale sont déterminés par elle, en relation avec le Ministère chargé des Finances, et inscrit pour ordre au Budget de l’Etat. Les fonds correspondant sont mis à la disposition du Trésorier de l’Assemblée Nationale par le Ministre chargé des Finances, à la demande de l’Ordonnateur ». Le Bureau de 

l’Assemblée Nationale détermine, par un Règlement administratif, les modalités d’application, d’interprétation et d’exécution, par les différents services, ainsi que le statut du personnel de l’Assemblée. Suivant l’article 17 du RI, le Président de l’Assemblée Nationale est l’Ordonnateur du Budget de l’Assemblée. « Il peut déléguer ses pouvoirs aux Questeurs. Les Vice-présidents le suppléent dans l’exercice de ses fonctions, suivant l’ordre de leur élection ». 

 

Ailleurs dans le monde

 

En France

La Guinée est fortement imprégnée de la culture juridique et du modèle institutionnel de son ancienne puissance coloniale. L’article 25 al 1 de la Constitution française qui a inspiré le constituant guinéen énonce qu’ « une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ». Dans ce pays, l’indemnité parlementaire répond au souci de permettre aux députés et sénateurs de se consacrer en toute indépendance à leurs fonctions. Depuis 1938, cette indemnité est alignée sur la rémunération des hauts fonctionnaires. L’indemnité comprend trois éléments : l’indemnité parlementaire de base, l’indemnité de résidence et l’indemnité de fonction.

Au 1er février 2014, les indemnités mensuelles brutes sont de 5 514,68 euros d’indemnité de base, 165,44 euros d’indemnité de résidence (3 %) et 1 420,03 euros d’indemnité de fonction (25 % du total), soit un total brut mensuel de 7 100,15 euros

L’indemnité parlementaire de base majorée de l’indemnité de résidence, à l’exclusion de l’indemnité de fonction, est assujettie à l’impôt suivant les règles applicables aux traitements et salaires. Ces impôts sont de l’ordre de 1711,43 euros (retraite, CSG, CRDS etc.).   En somme, un député/sénateur touche un revenu net mensuel de 5.388,72 euros.

Le Parlement français est composé de l’Assemblée nationale (577 députés) et du sénat (348 sénateurs).

 

Aux Etats-Unis d’Amérique

La tendance présidentialiste du régime guinéen est fortement inspirée du régime présidentiel américain.

L’article 1 section 6 de la Constitution fédérale prévoit que les Sénateurs[2][2] et les Représentants[3][3] recevront une indemnité de fonction, fixée par la loi et payée par le Trésor des Etats-Unis. En 2011, l’allocation mensuelle d’un représentant s’élevait à 11 256 euros (14500 USD). De surcroît, le président de la Chambre perçoit une allocation supplémentaire de 29 %, et les chefs de la minorité et de la majorité, de 11 %. Le salaire annuel du président de la Chambre est de 223 500 USD, et celui des chefs de groupe de majorité et de la minorité à la Chambre est de 193 400 USD. Le salaire des sénateurs est presqu’identique. Au salaire s'ajoutent plusieurs divers avantages comme les primes d'ancienneté, des pensions de retraite et une sécurité sociale.

Les congrès men sont soumis à l’impôt sur le revenu dans l’État qu’ils représentent. Le taux d’imposition varie d’un État à l’autre, de même que le régime de déductibilité. Cependant les membres du Congrès peuvent déduire chaque année jusqu’à 3 000 USD lorsqu’ils vivent loin de leur district ou de leur État d’origine.

La Constitution interdit au Congrès de voter une hausse de la rémunération des membres qui y siègent au moment du vote.

 

Quelques exemples en Afrique

 

Sénégal

Au Sénégal, les indemnités des députés est de 1 300 000 francs Cfa (1981, 84) et des avantages en nature comme les 4x4. Cependant les 150 députés ne sont pas logés à la même enseigne. Les membres du bureau de l’Assemblée nationale, les présidents des groupes parlementaires, les présidents des commissions perçoivent chacun 3 millions de francs CFA mensuels (4573,47 euros), un 4x4, une voiture C5 pour une durée de 5 ans, une dotation en carburant de 1000 litres par mois et des crédits de téléphones d’une valeur de 500 000 francs CFA (762,25 euros). Au Sénégal le PIB/habitant est de 957 041,26 francs Cfa (presque 1460 euros). La nouvelle Assemblée nationale vient de s’allouer une indemnité de 150 000 francs CFA pour permettre aux parlementaires de supporter les charges d’hébergement (presque 230 euros).

 

Au Mali, le député touche un salaire net mensuel de 350 000 F CFA (presque 550 euros), une indemnité de représentation de 500 000 F CFA (plus de 760 euros), une prime de logement de 150 000 F CFA (env. 230 euros), une prime pour le téléphone de 100 000 F CFA, (plus de 150 euros) une dotation en carburant de 300 000 F CFA (env.460 euros). Lorsque l’Assemblée nationale est en session le député reçoit une prime de session de 600 000 F CFA (env.920 euros). Pour les vice-présidents du bureau de l’Assemblée nationale, les présidents des commissions parlementaires, les présidents des groupes parlementaires, s’ajoute une indemnité supplémentaire de fonction d’une valeur comprise entre 100 et 200 000F CFA en plus de véhicule de fonction et de chauffeur.

 

En Afrique du Sud le parlementaire touche 8 000 euros, en République démocratique du Congo, il gagne 6 000 euros alors que chez son voisin de l’autre rive, le Congo-Brazzaville, le député perçoit 3 100 euros. En Côte d’Ivoire, il perçoit 3500 euros et au Burundi le député touche 1700 euros mensuels comme en Tunisie. En Algérie, le député touche 400 000 dinars par mois (presque 3760 euros).

Parmi les moins nantis figure le Burkina Faso avec1 100 euros sans la prime de session.

Mais parmi les mieux lotis, les parlementaires kényans. Fin mai, les députés de la nouvelle législature élue en mars avaient voté l’annulation de la baisse de 40% de leurs salaires décidée par la Commission des salaires et rémunérations (SRC). Le salaire devait ainsi passer de 851 000 shillings (environ 7 500 euros) lors de la précédente législature à 532 000 shillings kényans (environ 4 800 euros). Ils ont demandé une hausse de 300. 000 shillings (2. 600 euros), pour revenir au montant de la précédente législature.

 

Des manifestations très trash des organisations de la société civile kenyane contre le montant jugé mirobolant des indemnités parlementaires

 

L'association "Occupez le Parlement" a organisé deux manifestations pour dénoncer l’avidité et la cupidité des députés. La première manifestation organisée à la mi- mai 2013, était d’un genre très trash. Les manifestants ont déversé devant le Parlement des litres de sang et des cochons qui s’en régalaient, avec sur certains porcs, marqués le nom de certains députés.

Dénonçant cette méthode, le chef de la majorité a protesté et a trouvé injuste d’être assimilé à un cochon, et aurait préféré être comparé à une vache ou à un chameau. Accusés de cruauté envers les animaux, les organisateurs ont à nouveau manifesté quelques jours plus tard, sans les cochons cette fois, mais avec un cochon géant, des billets de banque à l’effigie des porcs, et en parodiant l’animal.

 

Ils ont fait un jeu de mots entre members of parliament et le mot « pig » (cochon en anglais) : "MPigs". Sur les pancartes pouvaient se lire d’autres slogans comme "Aidez ceux dans le besoin, pas les voraces", ou encore "Si vous obtenez une augmentation, j'arrête de payer des taxes". Une des organisatrices, Florence Kanyua a expliqué que les Kenyans n’étaient pas prêts à payer ça, en rappelant que ce sont les Kényans qui payent ces salaires par leurs impôts. Elle a estimé que les enseignants, les policiers, les médecins et les infirmières ont des salaires de misère, mais les députés ne pensent pas à ce genre de problème.

Quelques jours plus tard, la SRC et les députés sont parvenus à un accord. Les députés acceptaient la baisse de leurs salaires (à 532 000 shillings) contre une allocation de 45000 euros pour une voiture, le maintien d’un système de retraite avantageux et autres avantages.

 

Améliorer les conditions sociales et exigences de transparence 

 

Les députés guinéens doivent certes disposer d’un montant d’indemnité qui leur permette d’exercer en toute indépendance leur fonction. Cependant ce montant doit répondre aux critères fixés par la loi. Les députés doivent cependant avant tout, se familiariser avec leurs nouvelles fonctions car disposer d’indemnités élevées ne suffit pas comme l’a montré le CNT qui n’a jamais pleinement assumé son rôle, et en a même dévié en se lançant dans les missions d’offrandes, ou de prosternation devant l’exécutif pour faire des suppliques au lieu de dialogue, d’interrogation ou d’instituer des commissions d’enquête. Les députés ne doivent pas perdre de vue que leur aspiration à gagner plus est partagée par l’ensemble de la population, dont la majorité végète dans la pauvreté.

Avec un PIB par habitant de 591$ (Banque mondiale 2012), a un PIB consacré aux secteurs sociaux excessivement faible, classée 178ème sur 187 pays par le PNUD en indice de développement humain (2011), la Guinée est un pays "pauvre". La crise de l’emploi a accentué le taux de chômage, aggravant la pauvreté selon DSRP 2011-2012[4][4]. Selon ce document, les services de santé ont connu une grave dégradation en raison des coupures budgétaires qu’a subies le secteur dont la part dans le PIB est passée de 1% en 1993 à 0,2% en 2010. De même dans le domaine de l’éducation, le taux d’abandon de l’école primaire est passé de 5,9% en 2007 à 11,6% en 2010, faisant baisser le taux d'achèvement du primaire à 57% en 2010.

C’est la loi, qui détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical, et de la protection sociale (art 72 de la Constitution). Ce rôle de voter la loi incombe aux députés.

Par ailleurs les députés doivent jouer un rôle actif voire agressif dans la lutte contre la corruption. La Guinée se place au 179ème rang sur 183 pays suivis par la Banque Mondiale en matière de climat des affaires, et à la 164ème place sur 178 pays suivis par Transparency International pour l'indice de perception de la corruption[5][5]. Pourtant, si en 2010, le CNT a fait inscrire dans le préambule de la Constitution sa volonté d’édifier un Etat de droit et de promouvoir la bonne gouvernance et de lutter contre la corruption et les crimes économiques, il ne s’en est plus soucié jusqu’à la fin de son mandant trois ans plus tard. Si les crimes économiques ne sont toujours pas définis alors qu’ils sont considérés dans ce préambule comme des crimes imprescriptibles, il est urgent que les députés donnent des gages de leur souci d’instaurer la transparence. Ils doivent faire connaître les salaires, traitements, émoluments de tous les hauts responsables de l’Etat. Les Guinéens doivent connaître le montant du salaire du Président de la République, la dotation présidentielle et il n’est pas tard que les députés exigent, conformément à la Constitution, que celui-ci publie son patrimoine.

 

Les députés doivent exiger la fin de l’impunité et œuvrer pour l’indépendance de la justice. Les députés doivent donner l’exemple en respectant les lois qu’ils adoptent, les différentes règles et procédures à suivre dans la gestion de la chose publique.

Si les députés perçoivent une indemnité suffisante, c’est pour œuvrer dans l’intérêt général, par conséquent à l’amélioration des conditions de vie et de sécurité du peuple de Guinée qu’ils représentent.

 

Hassatou Baldé




[1] Article 4 : L’indemnité parlementaire ne peut être cumulée avec un traitement ni avec une indemnité ayant le caractère de rémunération principale.
Toutefois, le cumul est permis pour les pensions de retraite, les pensions civiles et militaires de toute nature, les pensions allouées à titre de récompense.
Article 5 : Les chercheurs et les membres du corps professoral de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ne sont concernés par les dispositions de l’article précédent en ce qui concerne les indemnités de thèse, de mémoire et de recherche scientifique
[2] Au nombre de 100
[3] Au nombre de 435. Les représentants portent le titre de « honorable », terme qu’affectionnent les députés guinéens qu’ils ont adopté.
[4] Banque Africaine de Développement, Fonds Africains de Développement ; République de Guinée Document de Stratégie –Pays 2012-2016, Rapport, 36p.
[5] Guinée – Union européenne Document de stratégie pays et Programme indicatif national pour la période 2008-2013, Rapport, 111p