sad_djinnitSi les législatives guinéennes ont bien eu lieu, c'est aussi grâce à lui, Saïd Djinnit. Le chef du bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest revient sur le dialogue politique qu'il a accompagné et se dit confiant en l'avenir.

Il aurait pu devenir sapeur-pompier. Mais c'est à travers la diplomatie préventive que l'Algérien Saïd Djinnit, 59 ans, a choisi d'éteindre les incendies. Sa carrière au sein de l'Union africaine a des allures de course de fond pour spécialiste en résolution des conflits : Liberia, Centrafrique, Burundi, Sierra Leone, Somalie, Darfour... En tant que représentant spécial du secrétaire général de l'ONU et chef du bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest depuis 2007, il a participé aux longues négociations qui ont conduit au retour à l'ordre constitutionnel en Guinée à la suite du coup d'État mené par Moussa Dadis Camara en décembre 2008. Durant la seule période de la transition, il a effectué cinquante-trois séjours à Conakry.

Une implication qui, en avril 2013, a conduit Ban Ki-moon à le nommer facilitateur international du dialogue interguinéen pour la préparation des élections législatives, après que les crispations entre l'opposition et l'alliance présidentielle avaient laissé craindre un feu de brousse aux conséquences funestes. Sa feuille de route : permettre aux deux camps de trouver un terrain d'entente pour que les législatives, sans cesse reportées depuis 2011, puissent enfin être organisées. Mission accomplie.

Jeune Afrique : Au lendemain de votre nomination en tant que facilitateur, le président Alpha Condé fixait la date des législatives au 30 juin 2013, une option dont l'opposition ne voulait pas entendre parler. Avez-vous eu l'impression qu'on vous savonnait la planche ?

Saïd Djinnit : J'ai été nommé le 12 avril, et en effet le décret présidentiel convoquant le collège électoral pour le 30 juin est tombé
le 13... À mon arrivée à Conakry, deux jours plus tard, ma tâche était donc délicate. La date du scrutin est devenue un enjeu essentiel, pour le camp présidentiel, qui entendait imposer celle du 30 juin, comme pour l'opposition, qui la refusait avec obstination, au point de décliner toute concertation avec le pouvoir.

L'ancien Premier ministre de transition, Jean-Marie Doré, apparemment peu convaincu de la marge de manœuvre dont vous disposiez, a même ironisé sur le fait que vous étiez venu à Conakry "faire du tourisme"...

Ma priorité était de ramener l'opposition à la table des négociations. J'étais conscient que la présidence n'accepterait pas d'annuler
ce décret. La seule option était donc de parvenir à un consensus sur la date de l'élection. Pour cela, encore fallait-il dialoguer. Je suis finalement parvenu à convaincre l'opposition du caractère inéluctable de ce dialogue.

Comment le consensus sur un report du scrutin à septembre a-t-il été atteint ?

Lorsque nous avons commencé à examiner les dimensions techniques, la date initialement fixée est apparue discutable. J'avais formé un comité d'experts des questions électorales, et ils ont proposé un chronogramme réaliste, que nous avons adapté aux nécessités du calendrier politique.

Quels étaient les autres points de désaccord ?

L'opposition mettait en doute l'impartialité de la Ceni [Commission électorale nationale indépendante], dont la composition était jugée trop favorable à la mouvance présidentielle. La question du recensement à vocation électorale et le vote des Guinéens de l'étranger ont également fait l'objet de débats, ainsi que le changement d'opérateur technique décidé par le gouvernement au profit d'une compagnie guinéenne oeuvrant en partenariat avec une société sud-africaine. L'opposition soupçonnait ces deux opérateurs d'être trop proches du gouvernement. Pour apaiser cette inquiétude, la communauté internationale a donné l'assurance qu'il y aurait des mesures de sécurisation du fichier électoral.

Je me suis astreint à une attitude d'impartialité et de professionnalisme.

Dans ce contexte de tensions exacerbées, comment êtes-vous parvenu à conserver la confiance des uns et des autres ?

Je me suis astreint à une attitude d'impartialité et de professionnalisme, en ayant pour seule boussole l'intérêt général de la Guinée. Je sais que cette préoccupation était partagée par l'ensemble des leaders politiques, mais, dans ce pays comme ailleurs, le jeu politique peut parfois conduire des partis à considérer que leur position correspond exactement à l'intérêt général. Le facilitateur que j'étais disposait d'un peu plus de recul.

Au lendemain des législatives, comme après la proclamation des résultats provisoires par la Ceni - trois semaines plus tard, le 18 octobre -, l'opposition a dénoncé des fraudes massives et demandé l'annulation du scrutin. Avez-vous craint que la situation dégénère ?

C'était une grande satisfaction pour chacun que ces élections se soient déroulées de manière pacifique et que tout le monde ait accepté d'y participer. Dans le jargon des observateurs internationaux, elles ont été qualifiées de "généralement acceptables". Mais il est vrai qu'on a constaté un certain nombre d'irrégularités, ce que la communauté internationale a admis.

Toutefois, à en croire certaines déclarations de l'opposition, on aurait pu s'attendre à un véritable raz-de-marée au profit de la mouvance présidentielle. Or ce fut loin d'être le cas. Quand les résultats définitifs ont été annoncés par la Ceni, nous avons invité les deux camps à déposer des recours devant la Cour suprême lorsqu'ils s'estimaient lésés.

L'alliance présidentielle et l'opposition ont suivi cette recommandation, mais la Cour suprême a botté en touche, se déclarant incompétente. Là encore, n'a-t-on pas frôlé le dérapage ?

Un certain temps s'est écoulé entre la proclamation des résultats par la Ceni, le dépôt des recours et la décision de la Cour suprême. Cela a laissé le temps aux protagonistes de s'habituer aux résultats. Ce que j'ai perçu, c'est que ces chiffres sont peu à peu devenus acceptables pour chacun et que la projection vers l'avenir l'a emporté. Même si l'opposition s'est dite outrée par cette déclaration d'incompétence, ses principaux leaders ont su dépasser leur frustration.

La voie à suivre, c'est celle de la concertation.

Ils menaçaient tout de même de ne pas siéger dans la nouvelle Assemblée...

Personnellement, je n'ai jamais imaginé qu'ils mettraient cette menace à exécution. Car malgré la déception des uns ou des autres, cette élection s'est traduite par un certain équilibre des forces. D'un côté, l'opposition a une présence forte à l'Assemblée. De l'autre, la mouvance présidentielle dispose d'une majorité qui lui permet de gouverner mais qui est insuffisante pour modifier la Constitution... Le peuple guinéen a en quelque sorte "invité" les partis politiques à se concerter en cas de modification de la loi fondamentale.

Peut-on espérer que l'organisation des élections locales prévues cette année et, surtout, de la présidentielle de 2015 se passe de manière plus sereine ?

Une partie de la solution réside dans la mise en œuvre des dispositions contenues dans l'accord du 3 juillet 2013 entre la majorité et l'opposition. Par exemple, les parties se sont entendues sur des mesures d'apaisement et sur la nécessité de désigner un nouvel opérateur technique en prévision de la présidentielle. La voie à suivre, c'est celle de la concertation, en particulier au sein de l'Assemblée nationale. Il n'existe pas de contentieux que le dialogue ne permette pas de dépasser. Les Guinéens savent qu'ils sont passés à côté de la catastrophe, la paix sociale a été sérieusement menacée. Aucun des deux camps n'a envie que ça se répète. Lorsque j'ai assisté à l'investiture de la nouvelle Assemblée, à Conakry, j'ai ressenti cet immense sentiment de soulagement qui prévaut aujourd'hui dans la capitale. Je suis plein d'espoir pour ce pays.

Source : JA