hemicycle-de-l-assemblee-nationaleL’Assemblée Nationale guinéenne a été installée depuis un bon moment mais nos députés restent curieusement assis à ne rien foutre. Savent-ils ce pour quoi ils ont été élus? Pour vivre mieux ? C’est à croire qu’ils ne s’intéressent qu’à leurs indemnités. Des sources ont évoqué un montant équivalant à 2 700 euros par mois, soit presque 60 fois le salaire moyen constaté dans le pays.

 C’est indécent mais pas illégal dans la mesure où la loi organique L/91/013/CTRN du 23 décembre 1991 sur les circonscriptions électorales, le nombre des députés et le montant de leurs indemnités, est toujours en vigueur. Cette loi dispose en son article III que « Les députés perçoivent une indemnité mensuelle égale au traitement afférent à l’indice maximum de la plus haute hiérarchie de la fonction publique, une indemnité de session et d’autres avantages fixés par décret, sur proposition du bureau de l’Assemblée nationale ».

 Nos élus ne savent pas tous comment s’élabore une loi mais ils sont tous experts dans l’art d’exploiter à leur avantage les lois qui existent. Si le versement d’indemnités parlementaires est tout à fait justifié, c’est son montant qui peut être choquant dans un pays où les recettes de l’Etat ne sont pas utilisées en priorité au profit de la collectivité nationale.

 Normalement une indemnité allouée à un député a pour but de permettre l’accomplissement d’un travail législatif et de faciliter des missions de contrôle. Elle met à l’abri l’élu dans l’exercice de son mandat et lui assure ainsi son indépendance. A l'Assemblée Nationale, le travail de député consiste essentiellement à voter les lois et à contrôler l’action du gouvernement.

 - Le vote des lois

 Chaque député, même à titre individuel, peut déposer des propositions de lois, examinées en séance publique et éventuellement adoptées au même titre que les projets de loi qui, eux, émanent du gouvernement. Ces propositions constituent souvent le moyen d'appeler l'attention sur un problème précis ou sur la nécessité de réformer les textes législatifs déjà en vigueur. Le député se fait l'écho des préoccupations des citoyens à l'Assemblée, pour critiquer objectivement et faire progresser la législation en vue d’en améliorer l’application.

 - Le contrôle de l’action du gouvernement

 Les questions permettent au député d'interroger directement un ministre soit oralement, soit par écrit. Un député peut être chargé d'établir un rapport d'information sur un sujet déterminé. Le député peut, en outre, appartenir à une commission d'enquête sur la gestion d'un service public ou pour recueillir des informations sur des faits déterminés.

 Ce double rôle semble tellement évident dans un Etat de droit que son rappel peut agacer plus d’un démocrate. En Guinée, c’est utile de rappeler inlassablement certaines choses simples. Cette pédagogie est d’autant plus nécessaire que ce qui est indéniable pour les uns ne l’est pas forcément pour d’autres, fussent-ils des députés.

 Censé agir au nom de la nation, un député doit savoir qu’il n’a pas à demander l’accord préalable de son parti politique pour assumer sa tâche. Il n’a pas besoin d’appartenir à une commission pour agir au service des citoyens. Il se renseigne, il enquête, il discute, il parlemente - c’est le cas - et pond éventuellement des textes. Pour l’instant, que pond-il ? Rien !

Un effort parlementaire peut s’avérer rapidement payant dans un cadre collectif mais rien ne l’empêche de se faire individuellement et d’être efficace. Personne n’a le droit de chercher des faux-fuyants pour échapper à ses responsabilités. Donc aucun député guinéen ne pourra dire un jour qu’il ne pouvait rien faire pour telle ou telle raison. Etant élu, il a d’ailleurs plus de légitimité et de pouvoir qu’un ministre dont le maintien au sein du gouvernement dépend de l’humeur du chef de l’Etat.

 Pourquoi alors le silence de nos «honorables députés»? Pourtant les sujets (sommes colossales non budgétisées, audits brandis comme armes de destruction politique, nominations administratives aussi claniques que fantaisistes, esclavage qui ne subsiste, selon un certain Mansour « Koumgbè » Kaba, qu’au Fouta-Djallon, etc.) ne manquent pas dans ce vaste chantier qu’est la Guinée. C’est à la faveur des « Accords du 3 juillet 2013» que nos députés ont maintenant l’honneur de siéger à l’Assemblée nationale. En guise de reconnaissance, ne devraient-ils pas se pencher ne serait-ce que sur trois points de ce document ?

 Point 9 : La sélection de l'opérateur technique qui aura la charge de la confection de la liste électorale pour l'élection présidentielle de 2015 fera l'objet d'un appel d'offre international conformément à la réglementation en vigueur sur la passation des marchés publics.

Point 13 : Le Gouvernement s'engage à diligenter les enquêtes judiciaires sur les violences qui ont marqué les manifestations politiques liées à l'organisation des élections législatives, et à tirer, en ce qui le concerne, toutes les conséquences de ces enquêtes conformément aux principes de l'Etat de droit et à la lutte contre l'impunité.

Point 14 : Le Gouvernement accepte le principe de l'indemnisation des victimes des récentes manifestations politiques liées à l'organisation des élections législatives dans un esprit de préservation de la cohésion nationale, sur la base des résultats des procédures judiciaires en cours et de l'identification des victimes ou de leurs ayants droit et de l'évaluation des préjudices subis.

 Au vu de ces points, les Guinéens aimeraient bien savoir où en est l’appel d’offre international pour la sélection du nouvel opérateur technique, où en sont les enquêtes judiciaires sur les violences et si l’indemnisation des victimes ne reste qu’au niveau des principes.

 Récemment, dans le cadre d’une vaste tournée africaine, le Roi du Maroc a fait escale à Conakry. Après un poussiéreux bain de foule (le monarque marocain avait pris la précaution sanitaire de porter le turban et la djellaba au lieu du costume « 3 pièces » de rigueur vu ailleurs) le « Commandeur des Croyants » Mohamed VI et le « Menteur Incroyant » Alpha Condé ont autorisé la signature de 21 accords guinéo-marocains. On est tympanisé par la combinaison de termes « tam-tam » de ces accords: convention, protocole d’accord, protocole de convention, accord de convention, accord de coopération, convention de partenariat, mémorandum d’entente, programme d’application, etc. Mais personne n’est dupe car, en Guinée, coopération est toujours synonyme de mendicité. Nos dirigeants nous font honte car ils ont toujours tendu la main droite pour dire merci à l’extérieur et brandi le poing gauche pour frapper toute contestation à l’intérieur.

 C’est curieux qu’aucun député n’ait encore interrogé un des ministres signataires de ces accords pour s’assurer de la manière dont ils ont été négociés et de leur application concrète. Voici quelques pistes de réflexion à l’attention de tout député curieux et soucieux de l’intérêt se son pays :

 -Sur le 1er accord portant «convention de non double imposition et de prévention contre l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu».

 Cet accord parle bien d’impôts sur le revenu et non sur les sociétés. Voudrait-on nous faire croire qu’il y a des citoyens guinéens imposables au Maroc et surtout des sujets marocains fiscalement rattachés à la Guinée ? La réalité est plus prosaïque : cet accord permet aux dignitaires du régime guinéens d’acheter (sans avoir à justifier l’origine douteuse des fonds) des résidences au Maroc pour s’y reposer, y consommer des couscous royaux accompagnés ou non de thé à la menthe et y bénéficier de soins médicaux, en toute tranquillité.

 -Sur le 6ème accord portant sur «la coopération dans le domaine de la marine marchande».

 Si des pêcheurs guinéens disposent de quelques pirogues (ne pouvant s’aventurer loin des Iles de Loos) la Guinée a-t-elle un seul bateau de commerce ? Il n’est pas nécessaire d’avoir une façade maritime pour en disposer.

 -Sur le19ème accord portant sur «une convention de coopération entre l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et la Société des eaux de Guinée».

 J’avoue ne pas savoir de quoi il s’agit et j’aimerais bien qu’un député me l’explique. Des deux partenaires, lequel doit-il ravitailler l’autre en eau potable et en électricité et par quels moyens? Les Marocains ont-ils réellement besoin des ingénieurs guinéens pour mettre en valeur leur partie saharienne? Si certains y avaient pensé, c’est parce qu’ils n’avaient jamais vu Conakry…

 Les autres «accords» étant du même acabit, on peut ne plus en citer. Lorsqu’on voit la nature des accords dits de coopération que la Guinée signe avec certains pays moins gâtés par la nature, on a honte. Il semblerait qu’à la demande de nos dirigeants (une offense aux marabouts de la Guinée Maritime, aux érudits du Fouta-Djallon et aux lettrés de Haute-Guinée !) le Maroc promet même de former 500 imams guinéens. Vous avez bien lu: il s’agit bien de formation d’imams et non de production d’igname ! Après l’aide économique dont la Guinée n’a jamais su tirer profit, ce pays s’orienterait-il, à l’heure d’Internet, vers une « aide spirituelle au développement »?

 Quoi qu’il en soit, Alpha Condé, plus proche des vins et spiritueux  que des versets coraniques, entend se maintenir au pouvoir et s’en donne les moyens. Ayant réussi à imposer son candidat au poste de président de l’Assemblée Nationale il s’attèle à faire de cette institution une simple chambre à sa dévotion avec pour objectif d’être « le Président Démocratiquement Réélu dès le Premier Tour » (PDR-PT).

 Est-il moralement acceptable pour un député de toucher des sous sans effectuer son travail? Le cynisme d’Alpha Condé est plus poussé qu’on ne l’imagine. Les députés guinéens ne seraient pas simplement payés à ne rien faire mais payés surtout pour ne rien faire. On veut bien qu’ils mangent mais qu’ils se taisent ; qu’ils broutent en silence.

 Où est donc leur honorabilité ostensiblement affichée? Seraient-ils plus sensibles aux honneurs qu’à l’honneur ? Ils ne se contentent pas d’aimer le titre désuet « honorable », ils l’adorent : « Honorable X », « Honorable Y » comme s’il s’agissait d’un prénom.

 Je propose une abréviation de ce prénom collectif en écrivant simplement «Hon.» pour tout député guinéen dont le travail parlementaire permettra de savoir s’il est « honorable » ou « honteux ».En attendant un «honorable» guinéen pouvant en cacher un autre, se trouvera-t-il un député capable d’interpeler «Hon. Jean-Marie Doré » qui a affirmé avec certitude connaitre « celui qui est derrière l’empoisonnement des militants du Rpg » ? Un vaillant député osant rappeler à certains ambassadeurs qu’ils sont accrédités auprès de la République de Guinée et non auprès du Rpg et de son chef ? Un autre pour dénoncer les « complices sans frontières » qui s’arrogent le droit de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Guinée pour la charcuter ? Un autre, enfin, pour fustiger les journalistes qui, par cupidité, font une publicité mensongère en faveur d’Alpha Condé ?

 Lorsqu’on bénéficie d’une indemnité et qu’on jouit en plus d’une immunité, la moindre des choses serait de préserver sa dignité !

 Pour terminer, une perle de condoléances à conserver dans un coffre-fort de l’Assemblée Nationale que certains députés appellent improprement « l’Hémicycle ». Le « sotikemo » de la ville de Kankan, Elhadj N’fa Ansoumana Kaba est décédé (quand ? comment ?). N’est-il pas superfétatoire de saluer en ce patriarche «celui qui, sa vie durant, s'est distingué par son attachement constant aux valeurs de paix de tolérance et de justice.»? Je rappelle que le défunt était une haute autorité morale, écoutée et respectée. De son vivant, il n’avait pas levé le doigt pour arrêter la violence anti-peule dans sa zone d’influence spirituelle durant la présidentielle de 2010. Au même moment, à la demande des autorités religieuses du Fouta, aucun mandingue (cible pourtant facile !) n’a été inquiété dans cette région. Est-il juste de parler, dans ce cas, de tolérance ? En voulant ratisser large, on prend du n’importe quoi !

 Je vous salue.

 

Ibrahima Kylé DIALLO