virus_ebolaTous les secrets de la fièvre d'Ebola levés par Sylvain Baize, responsable du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales de Lyon, en France.

Alain Aka : Comment avez-vous eu vent de l'épidémie d'Ebola en Guinée ?

 

Sylvain Baize : En fait, ce sont nos équipes de l'Institut Pasteur à Lyon qui ont diagnostiqué le virus Ebola dans le cas de cette épidémie. Nous avons reçu des échantillons de Guinée dans le cadre d'une épidémie de fièvre hémorragique. Il s'agissait juste d'une suspicion puisqu'il n'y avait pas encore d'agent identifié. Le 21 mars, nous avons découvert qu'il était question du virus d'Ebola, plus particulièrement du type Zaïre, qu'on retrouve en Afrique centrale.

 

Comment ce virus s'est-il retrouvé en Guinée ?

Pour l'instant, on ne l'explique pas, il n'y a que des hypothèses. Le premier cas signalé s'est manifesté à proximité de zones forestières. On peut imaginer, et c'est une hypothèse à explorer, que les chauves-souris, qui sont le réservoir du virus, aient pu, de proche en proche, transporter le virus jusque là-bas. C'est vrai, un cas de virus Ebola a été découvert en 1994 chez les chimpanzés de la forêt de Taï, en Côte d'Ivoire (le Taï Forest Ebola Virus). En revanche, il n'a jamais été à l'origine d'une épidémie humaine. Lors de nos recherches, on pensait avoir affaire à l'espèce Côte d'Ivoire. On a été surpris de trouver l'espèce Zaïre.

 

Comment s'est faite la transmission à l'homme ?

Des singes au contact de chauves-souris ont pu être infectés. Ils ont par la suite contaminé des hommes avec qui ils ont eus des contacts directs. Il faut noter que dans cette région, les populations consomment aussi bien la viande de singe que celle de chauve-souris. La transmission aurait pu se faire avec un troisième animal puisqu'il a été montré que quelquefois les antilopes pouvaient être contaminées elles aussi. Troisième possibilité, un fruit contaminé par la chauve-souris. Ce ne sont que des hypothèses. Une chose est certaine, la maladie a été contractée dans la forêt. Ce qui se passe, c'est que l'Ebola se maintient dans la nature par l'intermédiaire de son réservoir. La chauve-souris est infectée par le virus, mais elle n'est pas malade, elle ne meurt pas. C'est en quelque sorte un porteur sain. Les chauves-souris se transmettent le virus entre elles. C'est comme ça que le virus se maintient dans la nature. Si le virus n'avait pas un réservoir, vu que les épidémies ne sont pas constantes chez l'homme ou chez les grands singes, le virus s'éteindrait de lui-même, il n'aurait plus de transmission. Pour qu'il y ait transmission, il faut un réservoir qui héberge le virus en permanence et qui de temps en temps, accidentellement, s'introduit chez l'homme ou chez le grand singe.

 

Quelles sont les régions concernées par l'épidémie ?

Tout est parti du sud-est de la Guinée, le foyer principal de cette épidémie. Cette région est frontalière avec la Sierra Leone et le Liberia. Ce qui explique les cas suspects dans ces deux pays frontaliers. Avec les mouvements de population, Conakry, la capitale, est à son tour touchée.

 

Quels risques pour la sous-région ?

Depuis une vingtaine d'années, la zone de circulation du virus Ebola a tendance à s'étendre. On était confiné à l'Afrique centrale, maintenant il se trouve en Guinée. On peut imaginer que le virus va encore se déplacer. C'est une question de présence de son réservoir. Là où il y a des chauves-souris, on a plus de chances de propagation du virus et d'accroître la zone de circulation. Le risque de propagation de l'épidémie dans la sous-région est théoriquement possible. Possible en Côte d'Ivoire puisque le virus Ebola a déjà été détecté dans ce pays chez les chimpanzés. Pour le Sénégal, ce sera plus difficile, puisque le virus circule principalement en forêt et qu'il n'y a pas énormément de forêts dans ce pays. Mais, au sud du Sénégal, vers la Casamance, pourquoi pas ?

 

L'Ebola se soigne-t-il ?

Hélas, non ! Nous n'avons aucun traitement, antiviral, pour l'instant à proposer aux patients. On peut les aider grâce à des traitements de soutien, des soins intensifs, mais il n'y a pas de traitement spécifique pour contrecarrer la propagation virale comme pour d'autres maladies virales comme l'hépatite. Si les gens survivent, c'est grâce à leurs défenses naturelles et pas grâce à des soins.

 

Comment éviter la maladie ?

Si on est en dehors d'un contexte épidémique, arrêter de consommer de viande de brousse, principalement la viande de chauve-souris ou de singe. Et là, il n'y aura quasiment aucun risque d'attraper le virus Ebola. Dans un contexte épidémique, comme aujourd'hui, il ne faut surtout pas toucher sans protection les personnes malades.

 

Ne pas manger de viande de brousse, est-ce une solution efficace ?

Oui, complètement. Le fait de ne plus manger de viande de brousse, particulièrement du singe ou des chauves-souris, diminue considérablement le risque de survenue de l'infection. Car il faut un contact physique avec l'animal infecté pour être infecté à son tour. Donc si on ne touche plus de singe et de chauves-souris, on a beaucoup moins de risques d'avoir des épidémies. Donc, oui, c'est efficace. La difficulté, c'est que, bien souvent, les gens dans ces zones reculées n'ont que la viande de brousse. C'est leur seul moyen de subsistance. Comme on a pu le voir en Afrique centrale, il y a certes de la sensibilisation auprès de la population, mais ça reste un voeu pieux. Les gens continuent de consommer cette nourriture parce qu'ils n'ont pas énormément de choix, finalement.

 

Quelle est l'espérance de vie du malade ?

Disons entre une semaine et treize jours à partir du moment où il a les symptômes. Si on rajoute la phase d'incubation, entre l'infection et la mort, il va s'écouler entre quinze jours et trois semaines.

 

À quand la fin de l'épidémie ?

La forte dispersion des patients rend le travail sur le terrain difficile. Voilà pourquoi l'épidémie va prendre un peu de temps pour s'estomper. Mais, rassurez-vous, elle sera contrôlée, au pire dans quelques semaines. On peut l'espérer, en tout cas. En revanche, l'éradication du virus de la nature n'est juste pas possible, sauf à faire disparaître totalement toutes les chauves-souris, qui hébergent le virus, de la terre.

 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ALAIN AKA

Le Point.fr